Richard Duplat

Architecte en chef des Monuments historiques

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Résumé : Parmi les interventions en restauration de polychromies, la mise au jour de décors jusque-là dissimulés peut relever de l’équation à plusieurs inconnues. La cicatrisation de parements reconnus avec réintégration picturale raisonnée fait déjà appel à des choix. De même, intervenir sur un épiderme dont quelques sondages ponctuels promettent une redécouverte idéalisée repose sur un parti d’intervention. Ce projet peut néanmoins être contredit et orienté au fur et à mesure du chantier, en fonction de ce que révèle vraiment le patrimoine sur lequel on intervient, en passant par des réflexions à partager sur les limites de l’intervention, sur les sacrifices à motiver et les compléments à revendiquer pour assurer le message le plus plausible au final. Et la difficulté de raconter une histoire peut être grande quand différentes périodes de décors apparaissent – toutes enrichissantes – les unes contredisant parfois les autres, ou que ces périodes s’avèrent finalement très lacunaires, presque perdues… Que montrer ? que conserver ? peut devenir le tourment du restaurateur qui cherche seulement à confirmer la valeur du bien. Considérant les Dominicains de Guebwiller, trois opérations distinctes illustrent déjà des approches et démarches différentes dans la restauration. À ces exemples s’ajoutent d’autres expériences dans la Haute-Alsace, toutes témoignant qu’il n’y a pas une unique démarche, mais des choix à mesurer et motiver par le restaurateur, en fonction de la réalité du support, sans oublier le contexte historique et architectural du bien, choix tous appuyés sur les chartes de bonne pratique.

Vorstellung von Restaurierungsarbeiten an Wandmalereien: Kontext, Schwierigkeiten, Herausforderungen…

Zusammenfassung: Bei den verschiedenen Eingriffen einer Restaurierung von Farbfassungen kann sich insbesondere die Freilegung bisher verborgen gebliebener Dekore als eine Gleichung mit mehreren Unbekannten erweisen. Schon die Restaurierung von Wandschichten mit eindeutig und unzweifelhaft identifizierten Bildgestaltungen unterliegt einer Entscheidung zwischen mehreren Alternativen. In gleicher Weise muss der Intervention auf Wänden, deren Schichten aufgrund diverser Stichproben Hoffnungen auf vielversprechende Wieder-Entdeckungen wecken, eine Entscheidung zwischen mehreren methodischen Alternativen vorausgehen. Gleichwohl kann dieses Projekt durch den Verlauf der praktischen Arbeiten widerlegt und umorientiert werden und zwar einerseits in Abhängigkeit dessen, was sich dann faktisch als zu Konservierendes erweist und andererseits in Abhängigkeit eine Einigung erfordernden Reflexionen aller Beteiligten hinsichtlich der Grenzen des Eingriffs, insbesondere hinsichtlich der zu opfernden Elemente und hinsichtlich der notwendigen Ergänzungen, damit schlussendlich die plausibelste „Message“ sichergestellt werden kann. Die Schwierigkeiten, eine Geschichte zu erzählen können groß sein, wenn verschiedene Perioden des Dekors zu Tage treten, die zwar alle bereichernd sind, sich aber zugleich untereinander widersprechen oder als sehr lückenhaft, fast verloren erweisen… Die Frage „Was soll man zeigen?“ und „Was konservieren?“ können zur Qual des Denkmalpflegers werden, der doch nur den Wert des kulturellen Erbes sicherstellen möchte. Im ehemaligen Dominikaner Kloster von Guebwiller illustrieren drei getrennte Restaurierungsarbeiten die verschiedenen Ansätze und Methoden der Praxis. Diese Beispiele müssen ergänzt werden durch andere Erfahrungen aus dem Ober-Elsass, die alle bezeugen, dass es nie einen einzigen Ansatz gibt, sondern stets verschiedene Wahlmöglichkeiten, die jeweils vom Denkmalpfleger bemessen und begründet werden müssen in Abhängigkeit vom realen Zustand der Wandfläche, ohne dass dabei vom historischen und architektonischen Kontext des jeweiligen kulturellen Erbes abstrahiert werden darf. Diese Entscheidungen gründen alle in der Charta der guten Praxis.

 

Parmi les restaurations de polychromies, la mise au jour de décors dissimulés peut relever de l’équation à plusieurs inconnues. Si la cicatrisation de parements reconnus avec réintégration picturale raisonnée fait déjà appel à des choix, intervenir sur un épiderme dont quelques sondages ponctuels promettent une redécouverte idéalisée, repose sur un parti d’intentions qui peut être contredit et orienté au fur et à mesure du chantier, en fonction de ce que révèle vraiment le patrimoine sur lequel on agit. La restauration passe alors par des réflexions à partager sur les limites de la chirurgie, sur les sacrifices à motiver, et les compléments à revendiquer pour assurer le message le plus plausible au final. Et la difficulté de raconter une histoire au travers de la restauration, et de ce que l’on donne à découvrir, peut être grande quand différentes périodes de décors apparaissent superposées ou mêlées – toutes enrichissantes – les unes contredisant parfois les autres, ou que ces périodes s’avèrent finalement très lacunaires, presque perdues… Que montrer ? que retenir ? peut devenir le tourment du maître d’œuvre-restaurateur qui cherche seulement à confirmer la valeur du bien.

Les édifices présentés ci-après illustrent différentes approches de restauration à partir de la matière à mettre en valeur.

1. Ancien couvent des Dominicains de Haute-Alsace, à Guebwiller

Depuis le début du XIIIe siècle, l’ordre dominicain connaît un grand essor dans les villes rhénanes alors en pleine expansion. En 1294, l’abbé de Murbach patronne l’installation d’une communauté dominicaine dans la ville basse de Guebwiller, à l’entrée de la vallée de la Lauch. La construction du couvent et de l’église avance alors au rythme des donations.

Malgré une histoire mouvementée, le couvent des Dominicains de Guebwiller a réussi à traverser les siècles en gardant son architecture originale, aujourd’hui en cours de restauration. La partie majeure reste l’église, édifice régulièrement orienté, avec son petit clocheton en toiture, son portail côté sud (en raison de l’implantation de l’édifice dans un tissu urbain déjà existant) et ses 3 000 m2 de peintures murales (partiellement cachées) datées des XIVe, XVIe et XVIIIe siècles [1]. C’est sans doute l’un des plus beaux ensembles de peintures murales médiévales dans la vallée du Rhin. Recouvertes par un badigeon en 1711, ces peintures murales ont ainsi été relativement préservées, avant leur redécouverte à partir de 1860, et surtout en 1941-42. La prédication dominicaine insistait sur l’exemplarité de la mort du Christ et celle des martyrs qui ont suivi, d’où les nombreuses crucifixions représentées à Guebwiller.

Protégés par classement au titre des Monuments historiques (arrêté du 02 janvier 1976), les anciens bâtiments conventuels abritent désormais un centre musical.

a)   L’absidiole, lieu du sanctuaire de la chapelle néogothique

Fig. 1. Guebwiller (68), ancien couvent des Dominicains, chapelle néogothique. Les peintures murales aux motifs floraux répétitifs étaient dans un tel état de dégradation suite à des décennies d’infiltrations que le parti d’intervention – une fois les conditions d’étanchéité rétablies – a été de les refaire à neuf à partir des vestiges encore lisibles. Cela relevait de l’impérieuse nécessité de rétablir ce qui pouvait l’être de sorte à transmettre le bien dans les meilleures conditions possibles de préservation. (© Atelier d’Architecture R. Duplat, juin 2008).

L’absidiole de la chapelle néogothique (fig. 1) est un morceau d’architecture à part entière, délicatement décorée. Son volume intérieur est éclairé par de petites lancettes. Des colonnettes ouvragées en plâtre montent du soubassement jusqu’au couvrement et dessinent les nervures d’une petite voûte étoilée. Les murs et voûtains sont peints.

Avant intervention, l’absidiole avait subi des décennies d’infiltrations liées à une couverture extérieure en pierre aux joints déficients. La mise en place en 2008 d’un habillage plomb comme étanchéité pérenne permettait d’envisager une programmation d’intervention au droit des parements intérieurs de l’absidiole dont l’état sanitaire était des plus préoccupants :

  • des colonnettes de plâtre étaient éclatées ;
  • les décors peints présentaient de nombreuses parties soufflées, illustrations des désordres liés à des défauts d’étanchéité, jamais repris depuis ;
  • à l’extérieur, quelques morceaux de meneaux de pierre des lancettes et les remplages trilobés étaient fortement érodés. Le grès présentait des pulvérulences à quelques endroits, et des éclats sur les montants principaux empêchaient une repose des verrières restaurées dans des conditions satisfaisantes.

Alors que quelques surfaces conservaient encore des éléments de décors, la restauration de l’absidiole néogothique est apparue impérative pour faire perdurer ce qui ne laissait aucun doute sur l’état antérieur du bien, tout en assurant les conditions de conservation des verrières et du petit autel, en cours de restauration.

Face à la pertinence des décors en présence (motifs floraux et rinceaux répétitifs), le parti d’intervention orienta rapidement une restitution des compositions répétitives disparues. Les surfaces conservées furent simplement pré-consolidées et nettoyées, le relief épidermique authentique s’identifiant avec des zones reprises à neuf. La fraîcheur du décor du XIXe siècle fut ainsi délibérément reconduite dans la poursuite des éléments floraux et géométriques répétitifs, sans chercher à rabaisser ou hiérarchiser les teintes neuves vis-à-vis d’un morceau trop modeste d’architecture.

Au final, le meuble autel restauré qui marque le soubassement de cette petite pièce, a été remis à sa place, en fond d’absidiole ; les verrières sont revenues garnir les baies. Cet espace a conservé une mise en valeur naturelle par la pertinence de ses décors qui ne sont venus que conforter le traitement des parements d’origine. Le Dossier documentaire des ouvrages exécutés, véritable illustration de l’histoire du chantier, a été établi avec présentation des cartographies avant/après permettant d’identifier l’ampleur de la restitution revendiquée.

b)   L’église Saint-Pierre-Saint-Paul

Régulièrement orientée, l’église de l’ancien couvent des Dominicains comprend :

  • une vaste nef plafonnée abritant les fidèles venus écouter les prédications, composée d’un vaisseau principal flanqué de bas-côtés ;
  • un chœur plus étroit, destiné aux offices de la communauté, composé d’un volume unique en prolongement du vaisseau principal de la nef. Profond de cinq travées voûtées sur croisées d’ogives aux lignes très élancées, il est néanmoins clairement séparé de la nef par un jubé plafonné, appuyé contre l’arc triomphal qui marque la liaison des deux volumes. Le chœur ne possède aucun décor sculpté ou peint à l’exception des clés de voûte. Il ne demeure rien des vitraux polychromes qui devaient orner les longues baies étroites.

Plus particulièrement considérée ici, la nef de l’église des Dominicains présente des surfaces couvertes de peintures murales de diverses époques avec des zones enduites, en partie badigeonnées, et des éléments architecturaux polychromés en pierre (colonnes, nervures, etc.).

À la suite des restaurations de décors peints opérées sur l’arc triomphal et au revers du pignon occidental, les travaux envisagés sur les parements intérieurs du vaisseau latéral nord (revers du gouttereau du bas-côté nord et murs adjacents) voulaient imprimer une tout autre approche de la restauration, avec une intervention mesurée sur la couche picturale remise au jour (fig. 2). Au droit d’enduits ou de badigeons épais, des fenêtres de sondages réalisées préalablement de manière dispersée confirmaient la présence de décors prometteurs sous-jacents, sans que la réalité et l’ampleur des décors cachés n’aient pu être appréhendées. L’opération de restauration a de fait été découpée en deux tranches distinctes :

  • une première tranche dite « ferme » intéressant les consolidations préalables, les dégagements des badigeons de recouvrement et la consolidation des parements ainsi mis au jour ;
  • une tranche dite « optionnelle » concernant la restauration proprement dite en fonction de la réalité picturale révélée après dégagement.

Fig. 2. Guebwiller (68), ancien couvent des Dominicains, bas-côté nord de la nef. Toute la difficulté est de donner à lire des décors mis au jour avec plusieurs périodes identifiées, où le compartimentage apporté par les cadres de scènes permet de soulager la lecture (© Atelier d’Architecture R. Duplat, novembre 2010).

Dans son article, « La Restauration d’un décor baroque au XVIIIe siècle », Patrick Ponsot, Architecte en chef des Monuments historiques écrivait :

« Les sondages et analyses réalisés à la fin des années quatre-vingt posent seulement la question de la consistance et des conditions de conservation de ce seul décor médiéval « initial ». Celles-ci étaient d’ailleurs inquiétantes : un marché hebdomadaire se tenait depuis le XIXe siècle dans l’église, le sol asphalté permettant un lavage à grande eau également hebdomadaire.

Les premiers travaux effectifs de dégagement, entre 1989 et 1992, ont montré que la stratigraphie n’était pas aussi simple que les néophytes l’avaient imaginé : un décor baroque de qualité s’interposait entre la crasse superficielle et les chefs-d’œuvre attendus. Il faut ici saluer l’architecte [Pierre Prunet (1926-2005), ACMH] qui, contre vents et marées, a réussi à préserver cette page d’histoire. »

Il poursuit :

« Seize années, quatre campagnes de travaux, trois architectes et plus encore d’ateliers et de laboratoires de cultures différentes auront été nécessaires pour commencer à comprendre ce que cachaient les badigeons ; c’était d’une certaine manière une superposition de ruines, et que l’état de ruine ne nécessitait pas nécessairement une restauration au sens habituel du terme de rétablissement d’un état. Après toutes ces années, le palimpseste qui résulte de l’enlèvement méticuleux des seuls badigeons non décorés est aujourd’hui considéré par tous comme satisfaisant du point de vue esthétique. Et suffisamment riche de sens pour que le travail soit poursuivi.

Ni restitution d’un état – aucun état n’est complet depuis les dégagements partiels du XIXe siècle – ni conservation stricto sensu – les usures ont rendu nécessaire un repiquage du premier état dégagé – l’œuvre nouvelle qui en résulte n’est néanmoins appréciable (…), qu’au travers du filtre des dossiers de restauration qui cartographient les différents états et documentent nos interventions. L’état restauré ne correspond à aucun état historique : il présente juxtaposés des états successifs partiels. Seule l’analyse permet de rétablir – et de préserver – le cours des événements qui a produit cela.

Autant de raisons d’essayer d’éviter l’irréparable des solutions définitives. » [2]

Avec l’expérience des précédentes opérations, il était observé que les parties hautes des parements conservaient des pans entiers de décor – principalement du XVIIIe siècle – alors que dans les parties basses, le décor avait été en grande partie supprimé, parce que trop exposé. Tout l’enjeu de la restauration reposait sur cette recherche d’équilibre dans la présentation des différentes strates, en fonction de l’état des vestiges découverts, le tout en continuité des parties déjà restaurées.

Le support est constitué d’une maçonnerie de moellons en grès. L’enduit est de couleur gris ocré et présente une structure microcristalline grumeleuse. La charge est constituée de nombreux granules (de 0,2 à 0,6 mm) incolores ou de couleur gris, brun ou noir.

Les analyses de la stratigraphie établie en 1998 révélèrent une couche de préparation à base de chaux entre les campagnes de peintures de l’époque médiévale et de l’époque moderne. La technique mentionnée alors par le laboratoire ETH, était une sorte de fresque à la chaux, sur un badigeon épais également fait de chaux, lui-même recouvrant un décor gothique primitif. L’absence de liant autre que la chaux expliquait l’extrême fragilité des décors et la difficulté pour leurs dégagements, les badigeons de propreté de plâtre et chaux du XIXsiècle étant, eux, très solides.

Sous l’épaisse couche de poussière, avaient été repérés au moins deux badigeons superficiels : le dernier, gris soutenu, recouvrant un badigeon blanc-beige. Ces badigeons de plâtre et chaux expliquaient la forte teneur en gypse analysée en 1991.

On observait sur les parements un certain nombre de lacunes liées à des salissures importantes avec des destructions sérieuses effectuées lors de précédentes restaurations (travail de dégagement trop hâtif et maladroit, méthodes inadaptées, méconnaissance des techniques picturales…) où des altérations témoignaient encore de problèmes sanitaires pourtant résorbés.

Comme lors des précédentes restaurations, l’opération considérée a concerné plus particulièrement :

  • l’amélioration des conditions de conservation avec suppression des enduits hydrauliques de soubassement ;
  • la consolidation, à l’avancement, au moment du dégagement d’une couche picturale fragile à très fragile ;
  • la consolidation des enduits supports peu ou pas cohérents.

Étaient alors visibles (avant intervention) :

  • dans la partie haute, des badigeons des XVIIIe et XIXesiècles (plâtre et chaux assez adhérents) ;
  • quelques éléments figurés, notamment un personnage qui apparaissait sur le pilier adossé contre le mur gouttereau nord, au milieu du bas-côté.

L’irrégularité des sondages et la disparité des époques dégagées posaient un problème de présentation qui nécessitait une réflexion approfondie. Le parti adopté lors des précédentes campagnes conditionnait – d’une certaine manière – l’opération considérée et celles à venir.

La priorité visait les conditions techniques de dégagement du décor du XVIIIe siècle et de consolidation des enduits et couches sous-jacentes, sachant que les produits et techniques proposés l’avaient été en s’appuyant sur les campagnes précédentes. De même, l’absolue nécessité de permettre des interventions ultérieures devait guider la restauration projetée ; les solutions traditionnelles et éprouvées devant toujours être privilégiées.

Enfin, il n’était pas possible de nettoyer les peintures, et encore moins de les dégager avant d’avoir consolidé les supports friables. Les interventions de nettoyage, de dégagement et de consolidation ne devaient pas être séparées.

S’agissant de la restauration proprement dite, le niveau visé (de départ) était celui du décor remis au jour au droit du revers de la façade occidentale. La réalité des décors découverts et la nécessité de donner une lecture apaisée de vestiges plus ou moins complets ont amené à travailler par « recoutures » très sensibles, faites d’eaux colorées, destinées à abaisser la présence des lacunes, en privilégiant la compréhension, notamment, des bandes compartimentées.

2. Maison Pfister à Colmar

Fig. 3. Colmar (68), maison Pfister, détail des scènes animant la façade. Le travail de restauration s’est limité à nettoyer la couche picturale, tout en réduisant le voile donné par l’application de vernis antérieurs inadaptés (© Atelier d’Architecture R. Duplat, novembre 2012).

Au cœur de Colmar, derrière la « cathédrale », à l’angle de la rue des Marchands (no 11) et de la rue Mercière, se situe une des maisons les plus célèbres d’Alsace : la Maison Pfister (fig. 3).

Demeure bourgeoise, elle est construite en 1537. Le meilleur atelier du Haut-Rhin – ouvert aux prémices du nouveau style apporté par la Renaissance – œuvre à l’élévation de la maison. Mélange subtil et harmonieux de matériaux, la structure architecturale de la bâtisse reste largement tributaire de la tradition gothique : la pierre est réservée au rez-de-chaussée comme à la tourelle octogonale et à l’escalier à vis ; le bois est employé pour construire l’oriel d’angle à deux étages qui communique avec une galerie également en bois. L’oriel, les fenêtres à meneaux et la toiture très effilée sont également des héritages gothiques.

Après 1567, la maison est acquise par un marchand de draps, Nicolas Statmann. La recherche de la sobriété dans le domaine religieux entraîne la bourgeoisie, enrichie par le commerce, à habiter de belles demeures privées, décorées avec faste. C’est ainsi que Nicolas Statmann fait embellir la demeure pour magnifier « la vitrine » de sa réussite : il commande la décoration des façades à Christian Vacksterffer qui effectue les peintures murales et les médaillons (cet artiste est connu pour avoir travaillé en 1552 sur les façades de l’Hôtel-de-Ville de Mulhouse). Le décor abondant est ici réalisé sur trois registres dans la surface de parement comprise entre le soubassement et les fenêtres du premier étage, tout en se prolongeant jusque sous l’encorbellement de la galerie. Il est caractéristique de la culture humaniste apparentée à la Réforme luthérienne qui arrive alors en Alsace en mêlant des scènes bibliques inspirées de la Genèse ; des évangélistes ; des Pères de l’Église d’Occident et de l’Ancien Testament ; des références historiques avec des blasons et, traités en médaillons, les bustes des empereurs du Saint-Empire ayant régné entre 1493 et 1564 ; des scènes allégoriques évoquant les vertus chrétiennes (Amour, Foi, Justice, Tempérance, Espérance et Force), et, au milieu de cet ensemble, les monogrammes de Nicolas Statmann et les armes de sa femme, avec le millésime 1577 (date d’exécution des décors).

Contrairement aux demeures de la Renaissance parmi les plus remarquées de la région, cette grande maison ne dispose pas encore de motifs décoratifs sculptés qui ornent la plupart des bâtiments de cette période. Elle hérite des caractéristiques de l’ancien style (gothique) en n’intégrant pas encore totalement celles du nouveau (Renaissance). Comme tous les édifices conçus sur une période charnière de l’histoire, son architecture est un mélange de tradition et de nouveauté.

En 1596, la maison appartient au marchand Claude Sison qui la restaure à partir de 1613. La date de 1648 renseigne sur la restauration des peintures des façades. Propriété de la famille Pfister entre 1841 et 1892, la Maison est protégée par classement au titre des Monuments historiques depuis le 14 mars 1927. Appartenant aujourd’hui à la ville de Colmar, l’édifice est géré par la Colmarienne du Logement.

En juillet 2005, les chutes de fragments d’enduit portant des décors et d’un morceau de la dalle de la coursive ont été les signes avant-coureurs de désordres importants sur le dernier corbeau de la galerie côté est, désordres soudains qui ont d’abord motivé des confortations d’urgence. Entre 2007 et 2013, six années ont été nécessaires pour programmer l’opération de consolidation/restauration. C’est peut-être ce qu’il faut pour assurer sereinement le lancement de ce type de travaux, lesquels ont été au-delà de la simple consolidation, intégrant finalement la restauration des couvertures jusqu’à la remise en état des parements maçonnés, enduits et peints.

Plus particulièrement, les interventions intéressant les décors peints ont été scindées en deux parties distinctes : d’une part, les travaux préparatoires avec essais se concluant par l’établissement d’un protocole d’intervention pour décision quant au principe de restauration, et ceci avant d’envisager, d’autre part, la restauration proprement dite. La première partie importante de l’approche du bien a concerné les sondages de l’état des décors avec essais de pré-consolidation (imprégnation d’agent consolidant pénétrant au travers des couches picturales) ; dégagement des couches picturales par clivages et nettoyage précautionneux de ces dernières ; constitution d’une palette de couleurs, avec examen des couches picturales sous-jacentes et définition de l’état de conservation des différents types de décors ; consolidation finale de la couche picturale mise au jour en attente du projet de restauration.

Au moment du chantier, des questions de restitution d’enduit se sont posées avec les encadrements colorés, retrouvés après nettoyage au droit des baies. Grâce aux images ou photographies d’archives, l’importance de ces vestiges dégagés a pu être confirmée pour répondre à l’aspect historique le plus cohérent et le plus complet de la demeure, même s’il manquera toujours le traitement du soubassement et, notamment, des baies cintrées du commerce, tel qu’il existait à la fin du XIXe siècle.

Un jeu subtil dans l’intervention sur les balustres a réactivé ce qui se lisait encore quelque peu sous les encrassements : travail en clair/obscur de la clôture de bois (par rehauts de teinte plus ou moins marqués) afin de donner du relief à l’ouvrage.

La restauration des décors – sans doute la partie la plus spectaculaire, parce que tout de suite vue par les Colmariens et les touristes – a donné lieu à d’heureuses surprises, puisque tous les décors ont pu être mis au jour, y compris ceux qu’on imaginait perdus au départ, tant la couche d’encrassement et d’opacité les avait fait disparaître. Il faut saluer l’engagement des restaurateurs qui n’ont pas hésité à consacrer le temps nécessaire pour remplir les objectifs et assurer le travail le plus sérieux et le plus complet possible.

3. La chapelle médiévale de l’église Saint-Georges d’Urschenheim

Fig. 4. Urschenheim (68), église Saint-Georges, chapelle sous la tour-clocher. Foisonnement de l’expression décorative pour souligner les nervures de l’architecture (© Atelier d’Architecture R. Duplat, novembre 2014).

Le village d’Urschenheim est situé dans l’aire urbaine de Colmar entre le Ried et la Hardt, sur l’ancienne voie romaine venant de Bâle et se dirigeant vers Strasbourg. Commune du canton d’Andolsheim depuis 1802, elle est irriguée par la rigole de Widensolen qui la traverse du sud au nord.

L’église du village est placée sous le vocable de saint Georges (fig. 4). De la petite chapelle construite vers la fin du XIIe siècle, il ne reste que la tour dont le rez-de-chaussée servait de chœur. L’édifice cultuel actuel date pour l’essentiel de 1836.

Les qualités indéniables de la tour médiévale, et sa haute valeur patrimoniale illustrée notamment par la découverte de décors peints ont motivé une très légitime reconnaissance par classement au titre des Monuments historiques dès 1895. Ainsi, l’église Saint-Georges est partiellement protégée.

L’ancien chœur médiéval – auquel la commune et la paroisse cherchaient à redonner une vocation cultuelle – avait servi un temps de sacristie. Ses parements demeuraient ornés de décors peints célèbres, lesquels remontaient au Moyen Âge. Or, les conditions d’hygiène sanitaire au pourtour de la pièce semi-enterrée, avec des décors largement sollicités par des remontées capillaires, ne permettaient pas d’engager sereinement une opération de restauration.

En premier lieu, les travaux ont consisté à rétablir l’assainissement des abords en créant un caniveau de respiration en périphérie du clocher, tout en assurant un matelas de ventilation au droit du sol de cette chapelle : un dallage fut posé sur lit de briques creuses (avec calepin du dallage relevé avant dépose). Une période d’un an fut nécessaire afin que les maçonneries de l’ancien chœur médiéval puissent retrouver un certain équilibre.

À la suite de cette intervention, une fois les conditions d’assainissement rétablies, la restauration des peintures put être programmée avec, finalement, la restauration de l’ancienne chapelle.

Les travaux ont pour l’essentiel consisté à nettoyer les parements peints, avec consolidation épidermique des zones fragilisées et « recouture » des parements purgés des zones cimentées au profit d’enduits à la chaux. La mise en teinte, pour abaisser la présence des lacunes et éteindre le feu du neuf des enduits refaits, a suffi à focaliser l’attention sur les vestiges de décors nettoyés, lesquels ont retrouvé une mise en valeur naturelle, sans complément.

4. La chapelle des Chanoinesses de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul d’Ottmarsheim

Sur des fondations du XIe siècle, l’église d’Ottmarsheim prend comme modèle la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle, elle-même construite pour Charlemagne vers 800 et considérée comme l’expression parfaite de l’art impérial. Caractéristique de l’architecture ottonienne, l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul est donc une interprétation romane d’un monument carolingien. C’est d’ailleurs le seul édifice ottonien conservé en Alsace.

Il s’agit d’un bâtiment de plan centré octogonal, entouré d’un bas-côté inscrit dans un second octogone. L’octogone central surmonté d’une coupole est éclairé par huit fenêtres percées dans le tambour de la coupole ; les bas-côtés sont couverts de tribunes. À l’est, se trouvent un petit chœur carré à deux étages et un déambulatoire voûté d’arêtes ; à l’ouest, un clocher-porche. Deux escaliers à berceaux rampants aménagés dans l’épaisseur des murs du clocher permettent d’accéder aux tribunes.

Les qualités indéniables de l’église d’Ottmarsheim ont motivé sa protection au titre de Monuments historiques sur la liste de 1840. Endommagée et incendiée à plusieurs reprises, l’église a fait l’objet de nombreuses réfections au cours des XIXe et XXe siècles et, notamment, d’une grande campagne de restauration entre 1833 et 1837.

Entre 1945 et 1959, les architectes Bertrand Monnet (1910-1989) et Arnold dirigèrent le décapage (action sacrilège et incompréhensible pour les restaurateurs d’aujourd’hui) et le rejointoiement des maçonneries extérieures. Ils assurèrent probablement également la brutale réfection de la chapelle des Chanoinesses, partie d’édifice considérée ici.

En 1985, Daniel Gaymard, Architecte en chef des Monuments historiques, dirigea la réfection, à l’intérieur, des enduits des tribunes. Il restaura de nouveau les peintures, puis les couvertures des bas-côtés en tuiles creuses, en revenant à l’état antérieur à 1892.

Le 28 février 1991, un violent incendie ravagea l’abbatiale et détruisit l’orgue de Joseph Waltrin (1679-1747). Le sinistre obligea alors la reprise quasi complète de tous les travaux, sur trois campagnes successives : nef et clocher (1991-1996), sols et chauffage (1997-1998), haut-chœur (1999-2000). En juillet 2018, la restauration de la chapelle des Chanoinesses achève la remise en état de l’édifice.

Des peintures Renaissance décoraient autrefois les parements de cette chapelle. À une époque récente, les épidermes intérieurs ont été entièrement piqués et refaits. Des vestiges d’éléments floraux peints apparaissaient uniquement dans le vestibule (créé par l’ajout d’un épais refend à l’entrée de la chapelle) et dans la petite pièce au-dessus. Le dégagement des enduits des voûtes devait confirmer la perte de ces décors ; des sondages réalisés en pied de murs laissant peu d’espoir quant à la persistance de peintures anciennes. Paradoxalement, le mur bâti à une époque moderne à l’entrée de la chapelle avait pour partie protégé ces derniers témoins (fig. 5).

Fig. 5. Ottmarsheim (68), église Saint-Pierre et Saint-Paul, chapelle des Chanoinesses. Vestiges des décors mis au jour après démolition d’une cloison rapportée (© Atelier d’Architecture R. Duplat, octobre 2017).

Les travaux de restauration attendus se développèrent sur deux tranches : analyse des décors/consolidation/dégagement, d’une part ; puis consolidation/restauration d’autre part.

Au final, les décors floraux mis au jour ont été cicatrisés sans recomposition symétrique (fig. 6). Le traitement sensible du décor mis au jour n’a donc concerné que l’entrée de la chapelle. Et si un filet noir est apparu comme soulignement des arêtes du couvrement de la travée d’entrée du volume cultuel (voûtes d’arêtes), ce détail de décor n’a pu être identifié au droit des nervures des voûtes sur croisée d’ogives qui couvrent le reste de la chapelle. Toujours est-il que le décor d’entrée a été perçu comme une volonté d’unifier deux modes de couvrement en un tout unitaire. La stricte mise en lecture du décor authentique n’a pas permis de poursuivre la démonstration complète de ce parti.

Fig. 6. Ottmarsheim (68), église Saint-Pierre et Saint-Paul, chapelle des Chanoinesses. Après restauration, la première travée a révélé toute l’efficacité d’un décor floral assez sobre dans son expression, et assez riche dans l’animation ainsi obtenue (© Atelier d’Architecture R. Duplat, mars 2018).

À partir de l’exemple des Dominicains de Guebwiller, entre différentes périodes (chapelle néogothique et église médiévale), des opérations distinctes illustrent déjà des approches et démarches différentes dans la restauration de peintures murales. Avec quelques autres exemples, certes sans doute trop restreints, les orientations d’un parti de restauration qui vise à servir les monuments d’Alsace sont mises en avant. Les interventions considérées témoignent alors qu’il n’y a pas une unique démarche, mais des choix à mesurer et motiver par le maître d’œuvre, d’abord auprès des services instructeurs de la Direction régionale des Affaires culturelles pour l’autorisation des travaux, puis, par la suite, sur le chantier, dans la collaboration sensible qu’il peut avoir avec le restaurateur de peintures murales, en fonction de la réalité du support, de son état. Sans oublier le contexte historique et architectural du bien, qui va orienter des choix d’intervention, tous appuyés sur les chartes de « bonnes pratiques ». Sans oublier l’apport de la documentation archivistique iconographique ou photographique ; sans oublier la matière même du décor peint, le sujet à traiter et sa représentation : figurative, florale ou géométrique plus ou moins répétitive ce qui, là encore, va entraîner des attitudes et positions différentes dans l’orientation d’un parti d’intervention. Dès lors, on comprend qu’il n’y a pas de recettes arrêtées et que le projet de restauration se nourrit de nombreux paramètres.

L’architecte – qui plus est l’architecte sensibilisé au patrimoine – se corrige dans son projet ; il peut l’être par son commanditaire, voire par les services conservateurs de l’État dans la défense que leur inspirent la conservation du bien et sa remise en valeur. Avec parfois des frustrations engendrées au final dans les limites de l’intervention, là où l’architecture aurait mérité plus d’ambition, ou en tout cas une complète cohérence de parti. Et il ne s’agit pas de revendiquer un état idéalisé – Viollet-le-Duc (1814-1879), ne doit plus être agité tel un chiffon rouge ! – mais tout simplement d’affirmer qu’il y a eu un état d’avant, et qu’avec la restauration, il y a un état d’après. La restauration constitue toujours un renouveau dans la lecture d’un bien patrimonial, avec un nouvel état au service du monument.

À l’heure où les interventions sur les monuments historiques se veulent désormais discrètes, voire timides, particulièrement au droit des arts monumentaux par peur de trahir l’authenticité du bien, il faut lire et relire la Charte de Venise [3], parfaitement écrite et largement ouverte sur les actions à assurer en fonction du contexte traité. Et s’il n’y a pas d’hypothèses, pourquoi ne pas affirmer la restauration pour défendre la pérennité de l’œuvre dans sa transmission ? Pourquoi ne pas affirmer jusqu’au bout la valeur artistique de cette œuvre ? Quelle histoire doit-on continuer de raconter ? Avec quels moyens ? Pour quels publics ? Quelle réception, quelle interprétation, quelle lecture ? On comprend que les tiraillements peuvent être suffisamment présents pour ne pas hésiter à revendiquer haut et fort que le parti d’intervention reste celui qui permet de jouer la belle musique en évitant la cacophonie. La conservation et la mise en valeur des peintures murales en Alsace, au cœur du Rhin supérieur, participent de cet enjeu et méritent l’ambition que l’on doit à la sauvegarde et, surtout, à la transmission d’un patrimoine culturel de grande valeur.

[1] Un premier décor peint à fresque a été créé au XIVe siècle sur l’enduit de construction, décor plus ou moins bien dégagé, aussi bien dans la partie basse de la façade occidentale (saint Christophe au Sud de la fenêtre ; saint Oswald au nord ; Arma Christi dans l’enfeu), que dans l’ensemble de l’édifice. La datation arrêtée du XIVe siècle, n’a pas d’autre base que celle stylistique ; elle est cohérente avec ce que l’on connaît de la construction de l’église (1312). Le début du XVIIIe siècle (la date de 1709 se lit sur l’arc triomphal) est généralement admis pour un second décor, décor de grotesques progressivement dégagé à partir de 1990.

[2] Patrick PONSOT, « Le décor baroque des Dominicains de Guebwiller et sa restauration en 1711 », Bulletin monumental, 2006, 164-2, p. 179-185.

[3] https://www.icomos.org/fr/informations-pratiques/179-articles-en-francais/ressources/charters-and-standards/171-charte-internationale-sur-la-conservation-et-la-restauration-des-monuments-et-des-sites.

 

Pour citer cet article : 
Richard DUPLAT, « Présentation d’opérations de restauration en matière de décors peints : contextes, difficultés, enjeux… », dans Ilona HANS-COLLAS, Anne VUILLEMARD-JENN, Dörthe JAKOBS, Christine LEDUC-GUEYE (dir.), La peinture murale en Alsace au cœur du Rhin supérieur du Moyen Âge à nos jours, Actes du colloque de Guebwiller (2-5 octobre 2019), Caen, Groupe de Recherches sur la Peinture Murale (GRPM), 2023, mis en ligne en février 2023. URL : https://grpm.asso.fr/activites/publications/colloque-guebwiller/richard_duplat.