Martin Labouré

Mescla restauration du patrimoine

Christine Grenouilleau

Restauratrice de sculptures

Émilie Checroun

RCPM restauration de peinture murale

Fabrice Surma

Laboratoire Epitopos

Richard Duplat

Architecte en chef des Monuments historiques

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Résumé : Le portail nord de la collégiale de Thann, datant du milieu du XVᵉ siècle, a bénéficié dès sa construction d’un programme de décor peint, tant sur les sculptures que sur la voûte. Ces polychromies ont été restaurées à la fin du XIXe siècle. Les analyses systématiques menées sur le chantier par spectroscopie induite par laser (LIBS) ont permis de déterminer la nature des pigments utilisés et de différencier de cette façon les 2 campagnes. Des essais de nettoyage ont été réalisés en combinant plusieurs techniques : clivage au scalpel, compresses chimiques et laser pulsé, en mode classique (pulse court), et en mode pulse long. L’utilisation de la technique LIBS avant et après nettoyage laser a également permis de vérifier l’innocuité de cette méthode. Après validation du Comité scientifique et technique, ces 4 méthodes ont été appliquées sélectivement sur les sculptures et la voûte, en fonction de la nature des pigments rencontrés. Les résultats du nettoyage ont permis d’obtenir une vision d’ensemble cohérente de ces décors et ainsi de leur redonner une lisibilité.

Lasertechnik zur Erforschung und Reinigung der Polychromie des Nordportals der Stiftskirche von Thann

Zusammenfassung: Das Nordportal der Stiftskirche in Thann erhielt seit seiner Errichtung in der Mitte des 15. Jahrhunderts sowohl für die Skulpturen wie auch für das Gewölbe eine Farbgestaltung. Diese Polychromien wurden Ende des 19. Jahrhunderts restauriert. Bei der Voruntersuchung von 2016 wurden systematisch Analysen mit der Laser-Spektroskopie (LIBS-Laser Induced Breakdown Spectroscopy) durchgeführt, anhand derer die Farbpigmente bestimmt und zwei Ausmalungsphasen unterschieden werden konnten. Es wurden mehrere Techniken für die Reinigungsversuche eingesetzt: Skalpell, chemische Kompressen und gepulster Laserstrahl (kurz und lang). Die Anwendung von LIBS vor und nach der Laserreinigung ermöglichte auch die Unschädlichkeit dieser Methode zu überprüfen. Nach Zustimmung seitens des wissenschaftlichen und technischen Beirats, wurden diese vier Methoden selektiv auf die Skulpturen und das Gewölbe angewandt, je nach Art der vorgefundenen Pigmente. Durch die gewonnenen Resultate erhielt man ein gleichmäßiges Erscheinungsbild der Bemalungen mit einer verbesserten Lesbarkeit.

Dans le cadre du chantier de restauration du portail nord de la collégiale Saint-Thiébaut de Thann, notre groupement de restaurateurs (auteurs 1 à 4) a été chargé du lot « Décor peint » sous la direction de l’Architecte en chef des Monuments historiques Richard Duplat. Ce lot concernait, outre la voûte décorée, les trois statues polychromées du tympan (de gauche à droite : saint Jean-Baptiste, la Vierge à l’Enfant, saint Thiébaut) (fig. 1). Ces statues, du milieu du XVe siècle[1], sont dans un bon état de conservation du fait de leur emplacement abrité, devant le tympan du portail, et présentent une polychromie assez complète et cohérente d’après les éléments de l’étude préalable fournie par la maîtrise d’œuvre[2]. L’objet de ce travail est de présenter une méthodologie innovante et efficace d’analyses des composants de cette polychromie (liants, si possible, et surtout pigments), afin de déterminer les méthodes de nettoyage les plus adaptées à chaque type de peinture.

Fig. 1. Thann (68), collégiale Saint-Thiébaut, portail nord avant travaux (© Mescla, juin 2018).

Étude des polychromies

L’étude préalable, confiée en 2016 par Richard Duplat au bureau d’études ECMH, comportait des analyses élémentaires par technique LIBS (Laser Induced Breakdown Spectroscopy) et des coupes stratigraphiques sur les trois statues du tympan. Ces analyses élémentaires avaient été réalisées par le laboratoire Epitopos. C’est donc dans la continuité de ce premier travail que ce laboratoire est intervenu au début de l’opération de restauration en 2018. Une nouvelle campagne d’analyses sur site par LIBS a donc été menée systématiquement sur les peintures présentes sur la voûte et sur les trois statues, afin de compléter l’étude préalable. Le principe de la technique repose sur la focalisation d’un laser à la surface de la zone étudiée, induisant la formation d’un plasma (fig. 2). Le spectre d’émission de ce plasma est collecté et permet d’identifier les éléments chimiques présents dans le plasma, et donc dans le matériau ablaté. En s’appuyant sur une base de données très complète (qui référence la nature chimique de très nombreux pigments), un logiciel conçu spécifiquement permet, grâce à un traitement judicieux des spectres, de déterminer sur site la nature du pigment présent dans la zone étudiée. Tous les pigments du portail ont ainsi été caractérisés. Ces analyses in situ ont été complétées par des coupes stratigraphiques en laboratoire. Ces investigations complémentaires nous ont notamment permis, en utilisant la spectrométrie IRTF (Infra-rouge à transformée de Fourier) sur une de ces coupes, d’identifier un repeint à base d’huile sur le visage de la Vierge à l’Enfant.

Fig. 2. Thann (68), collégiale Saint-Thiébaut, système LIBS sur le portail nord (© Epitopos, octobre 2018).

Essais de nettoyage

Le nettoyage des couches de polychromies sur des sculptures conservées en extérieur est une opération délicate. La couche de salissure noire est en effet composée de gypse cristallisé et de particules provenant de la combustion de carburant fossile[3], elle est donc très souvent plus dure que la pierre qu’elle recouvre, et a fortiori que la polychromie. Il existe schématiquement trois types de méthodes de nettoyage pour éliminer ces recouvrements : chimique (compresses à base de produits chélatants du calcium), mécanique (par clivage au scalpel ou par projection à basse pression d’une poudre abrasive), et photo-mécanique (par ablation laser). L’efficacité et l’innocuité de ces méthodes résident en grande partie dans l’expérience de l’opérateur, néanmoins elles présentent chacune des inconvénients intrinsèques quand elles sont utilisées sur de la polychromie. Les compresses chimiques nécessitent un rinçage et un brossage à l’eau (pour éviter la formation de sels) ; la micro-abrasion est délicate à maîtriser sur des couches de peinture fragiles ; la longueur d’onde des lasers de restauration est incompatible avec certains pigments, et l’effet photo-mécanique peut provoquer le décollement de la couche picturale. Depuis quelques années cependant, les lasers de restauration se sont diversifiés pour permettre de pallier ces défauts. En nous fondant sur notre expérience et sur les travaux d’Olivier Rolland[4] sur les polychromies de la cathédrale d’Angers, nous avons proposé de tester le nettoyage par ablation laser à Thann. Après validation de la Direction régionale des Affaires culturelles d’Alsace, nous avons réalisé des essais préliminaires avec un laser EOS-Combo de la marque El.En. Comme la plupart des machines utilisées en restauration, ce laser fonctionne dans l’infrarouge (1064 nm). Il propose deux modes de fonctionnement distincts. Le mode LQS (Long Q-Switched) produit des impulsions courtes (de l’ordre de 100 ans), et favorise l’effet photo-mécanique de l’ablation ; il est plus adapté au nettoyage de la pierre nue. Le mode SFR (Short Free-Running) produit des impulsions longues (de l’ordre de 100 µs), et favorise l’effet photo-thermique de l’ablation ; il est plus adapté au nettoyage des couches picturales.

Les essais ont porté sur tous les pigments identifiés précédemment. Ils ont mis en évidence que le nettoyage laser en mode SFR était particulièrement adapté à la plupart des pigments (fig. 3), à condition de bien adapter les paramètres de la machine (densité d’énergie du spot et fréquence de répétition). Seuls les pigments à base de plomb (blanc de plomb et rouge minium) et le rouge vermillon ne supportent pas la longueur d’onde infrarouge[5], quel que soit le mode de fonctionnement. Ces pigments devront être nettoyés par clivage au scalpel de la couche de salissure indurée. L’épaisseur de la croûte noire sur le manteau de saint Jean-Baptiste nécessite, de plus, un traitement préalable par compresse chimique pour amincir la couche et faciliter le nettoyage au laser. Le pigment ocre jaune de ce décor supporte dans ce cas le travail en mode LQS, plus rapide. L’ensemble de ces essais a permis de déterminer les méthodes de nettoyage les plus adaptées pour chaque pigment (fig. 4).

Fig. 3. Thann (68), collégiale Saint-Thiébaut, portai nord, essai de nettoyage au laser sur le drapé de la Vierge (© Christine Grenouilleau, novembre 2018).

Fig. 4. Synthèse des pigments analysés et des méthodes de nettoyage.

Contrôle de nettoyage

Les essais de nettoyage laser s’étant révélés satisfaisants visuellement, nous avons voulu vérifier qu’ils n’induisaient pas de modifications de composition des pigments. Pour cela, nous avons procédé à de nouvelles analyses LIBS sur des zones testées avant nettoyage (socle de saint Thiébaut et manteau de la Vierge, notamment). Une première comparaison entre les réponses élémentaires montre une disparition du baryum après nettoyage. Le baryum est un composant extérieur aux pigments analysés, donc un élément de la couche de salissure. Un traitement statistique des données spectrales par ACP[6] (Analyse en Composantes Principales) a ensuite été réalisé afin de déterminer les corrélations entre les zones analysées. Cette analyse statistique compare les intensités (de longueurs d’onde choisies, ici celles du cuivre pour le bleu azurite et le vert malachite) d’un spectre avec les autres, et détermine ainsi les différences ou ressemblances. Les corrélations sont ensuite représentées dans un graphe (fig. 5) qui permet de visualiser des groupes de ressemblance. Ces résultats montrent que les pigments vert et bleu n’ont pas subi d’altération suite au nettoyage laser.

Fig. 5. Comparaison des spectres LIBS avant et après nettoyage laser.

Résultat final

Les trois statues polychromées ont été nettoyées selon les protocoles déterminés précédemment (fig. 6). La couche de polychromie remise au jour a ensuite été refixée à l’aide d’une résine acrylique à 2,5 % dans de l’eau déminéralisée, afin de lui redonner du liant. Les restitutions colorées se sont limitées à la réintégration des greffes en pierre nue, et de quelques essais de dégagement trop poussés provenant d’une campagne d’essais précédente.

Fig. 6. Thann (68), collégiale Saint-Thiébaut, portail nord, statue de saint Thiébaut avant et après restauration (© Mescla, octobre 2018 et novembre 2019).

Conclusion

Ce chantier de restauration a été l’occasion de valider l’utilisation de deux techniques laser : une technique analytique et une technique de nettoyage.

Les analyses LIBS ont permis, grâce à la collaboration laboratoire-restaurateurs, de récolter rapidement (deux jours sur site) des informations complètes sur l’ensemble des pigments utilisés sur le portail nord, et ainsi d’orienter les essais de nettoyage. Mais la nouveauté de notre approche a consisté à valider le nettoyage par des analyses avant-après et un traitement statistique des spectres obtenus. Nous avons ainsi pu montrer que l’ablation laser était efficace et ne provoquait pas de modification de la couche picturale.

Le nettoyage des polychromies des statues a pu s’opérer en toute sécurité une fois les paramètres optimisés pour chaque pigment rencontré, ce qui aurait été plus difficile avec une autre technique (telle que la micro-abrasion notamment). L’usage du laser n’a cependant pas été systématique, il a été couplé avec le dégagement au scalpel et les compresses chimiques pour tenir compte des spécificités de certains pigments (présents surtout dans les carnations) et des contraintes de chantier (croûtes noires très épaisses sur saint Jean-Baptiste).

[1] Eva Maria BREISIG, Die Bauplastik von Saint-Thiébaut in Thann und die spätgotische Skulptur am Oberrhein, Petersberg, Michael Imhof Verlag, 2017, p. 424.

[2] Entreprise ECMH, Étude de la statuaire du portail nord de la Collégiale Saint Thiébaut de Thann, dans Richard DUPLAT, Architecte en chef des Monuments historiques, Rapport de présentation, Dossier de consultation des entreprises, Saint-Cyr-l’École, novembre 2017.

[3] Véronique VERGÈS-BELMIN (éd.), Glossaire illustré sur les formes d’altération de la pierre, ICOMOS-ICSC, Champigny-sur-Marne, septembre 2008, p. 42.

[4] Olivier ROLLAND, « Angers, Cathédrale Saint-Maurice, Portail occidental, Dossier de suivi et essais de traitements », dans G. Mester de Paradj, Dossier de Consultation des Entreprises, Paris, septembre 2017.

[5] Véronique VERGÈS-BELMIN, « Restauration de la pierre dans les portails aujourd’hui partiellement polychromés », dans D. VERRET, D. STEYAERT (dir.), La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque d’Amiens, 12-14 octobre 2000, Amiens, Agence régionale du Patrimoine de Picardie, Paris, Picard, 2002, p. 151-162.

[6] Céline DAHER, Analyse par spectroscopies Raman et infrarouge de matériaux naturels organiques issus d’objets du patrimoine : méthodologies et applications, Thèse de doctorat sous la dir. de L. BELLOT-GURLET, Université Pierre et Marie Curie, Paris, septembre 2012, p. 68-73.

 

Pour citer cet article : 
Martin LABOURÉ, Christine GRENOUILLEAU, Émilie CHECROUN, Fabrice SURMA et Richard DUPLAT, « Apport du laser pour l’analyse et le nettoyage des polychromies du portail nord de la collégiale de Thann », dans Ilona HANS-COLLAS, Anne VUILLEMARD-JENN, Dörthe JAKOBS, Christine LEDUC-GUEYE (dir.), La peinture murale en Alsace au cœur du Rhin supérieur du Moyen Âge à nos jours, Actes du colloque de Guebwiller (2-5 octobre 2019), Caen, Groupe de Recherches sur la Peinture Murale (GRPM), 2023, mis en ligne en février 2023. URL : https://grpm.asso.fr/activites/publications/colloque-guebwiller/martin_laboure/.