Ilona Hans-Collas
Anne Vuillemard-Jenn
Le colloque international et pluridisciplinaire intitulé « La peinture murale en Alsace au cœur du Rhin supérieur du Moyen Âge à nos jours » s’est déroulé à Guebwiller (Haut-Rhin), aux Dominicains de Haute-Alsace et au Château de la Neuenbourg, du 2 au 5 octobre 2019. Cette première manifestation consacrée à la peinture murale d’Alsace et des régions voisines, a connu un réel succès comme en témoigne la centaine de participants venus de France, d’Allemagne, de Suisse, d’Autriche, de Belgique et même du Japon. Le Groupe de recherches sur la peinture murale (GRPM) et ses partenaires ont tout mis en œuvre pour offrir un programme riche et varié, exigeant, mais ouvert à un large public : professionnels de la conservation-restauration, historiens, historiens de l’art, architectes, archéologues, professeurs, étudiants, chercheurs, guides-conférenciers, responsables associatifs, amateurs de patrimoine.
Le Groupe de recherches sur la peinture murale (GRPM)[1]
Fondé en 1997, il réunit des historiens de l’art et des conservateurs-restaurateurs dans le but de mettre en commun leurs connaissances sur la peinture murale, de développer des projets de recherche et d’organiser des rencontres scientifiques.
Ainsi, depuis 20 ans, le GRPM réalise des colloques dans diverses régions de France[2]. En 2002, à Toul en Lorraine, fut posée la question primordiale pour nos travaux : « Quel avenir pour la conservation et la recherche des peintures murales ? ». En 2007 à Angers, la thématique retenue fut celle du décor peint dans la demeure au Moyen Âge[3]. Dans l’Oise, en 2014, un bilan des connaissances sur 20 ans, à l’échelle de la France, a été dressé lors du colloque international organisé à Noyon. Les actes furent publiés en 2018 aux Presses universitaires de la Méditerranée sous le titre : 1994-2014, Vingt années de découvertes de peintures monumentales, Bilans et perspectives. Puis, en 2016, la Bretagne inaugurait les colloques dédiés à des aires géographiques restreintes à l’échelle d’une région. Plus de 200 participants se réunirent à Rennes et Pontivy sur le thème : Peintures monumentales en Bretagne. Nouvelles images, nouveaux regards. Les actes en furent édités en 2021 aux Presses universitaires de Rennes.
Après la Bretagne, l’Alsace fut choisie comme terrain d’étude à la suite des rencontres annuelles des membres du GRPM qui se déroulèrent en 2017 dans cette région. La visite de l’église des Dominicains à Guebwiller fut déterminante pour nos activités. Le projet d’organiser un colloque dans ce haut lieu du patrimoine peint alsacien prit alors racine sur la base de contacts noués sur place et renouvelés l’année suivante. Il apparut très vite qu’il fallait élargir le terrain d’étude aux régions limitrophes de l’Alsace, à la Lorraine et à la Franche-Comté, mais aussi à l’Allemagne et à la Suisse voisines. L’Alsace en tant que région transfrontalière prend place au cœur du Rhin supérieur. Le programme dense et varié devait refléter ce caractère interrégional et international de la thématique proposée. Le choix du lieu – l’ancienne église dominicaine de Guebwiller – était lui aussi une évidence pour réunir les spécialistes et les amateurs autour de la peinture murale. Ce fut la première fois qu’un colloque du GRPM se déroulait au sein même d’un édifice orné de peintures. Poursuivant notre démarche, des Rencontres annuelles en Occitanie en 2021 précédèrent le colloque de Toulouse « La peinture monumentale en Occitanie du Moyen Âge à nos jours » (28-30 septembre 2022). Ce fut une nouvelle occasion de dresser un bilan des connaissances suite aux nombreuses découvertes et chantiers de conservation-restauration qui eurent lieu dans la région et de mettre en valeur des études et des perspectives de valorisation.
Le choix du sujet
La peinture monumentale a joué un rôle considérable dans le paysage artistique de l’Alsace et de toute la région du Rhin supérieur comme l’attestent les nombreuses peintures murales encore conservées. Toutefois, l’entretien régulier des édifices alsaciens a paradoxalement entraîné des destructions. Les nouvelles campagnes de décor peint menées durant l’annexion ont permis de faire de précieuses observations dont les archives peuvent conserver le souvenir, mais ont également pu faire disparaître polychromies et peintures historiées lors de la réfection des enduits. La situation particulière de cette région frontalière a influé sur la conservation de son patrimoine. Après le retour de l’Alsace à la France, on a trop souvent voulu faire disparaître la trace des interventions menées sous administration allemande. En souhaitant dégermaniser des édifices ayant reçu un décor avant la Première Guerre mondiale, on a sacrifié d’éventuelles couches picturales sous-jacentes.
Si un certain nombre de relevés ont été réalisés après 1870 et témoignent de l’attention portée aux peintures médiévales, cette prise en compte est antérieure à l’annexion et coïncide, comme dans le reste de la France, avec les campagnes de débadigeonnages dans des édifices où plusieurs couches de lait de chaux avaient été superposées au fil du temps. Dans les églises d’Alsace, ces débadigeonnages se sont multipliés à partir du milieu du xixe siècle. C’est dans ce contexte qu’en 1859, lors du Congrès archéologique, le chanoine Straub (1825-1891) s’interrogeait : « Trouve-t-on en Alsace des peintures murales remontant au XIIe et au XIIIe siècle ? Quelles sont en général les peintures murales les plus remarquables ? »[4]. Il a régulièrement rendu compte dans les publications des sociétés savantes alsaciennes de la découverte de peintures et des restaurations entreprises[5]. Ses notes conservées à la Bibliothèque du Grand séminaire de Strasbourg illustrent son grand intérêt pour ce sujet. La Société pour la Conservation des Monuments historiques d’Alsace, dont le chanoine Straub a été président, s’est montrée très soucieuse du décor peint, relatant les débadigeonnages, les découvertes et les restaurations entreprises. On peut ainsi évoquer le dégagement des peintures des églises de Rosenwiller (après 1854), de Hohwiller (1863), de la Petite-Pierre (1864) ou encore de Walbourg (1864). Ces opérations se sont poursuivies sous l’administration allemande durant la période de l’annexion, et de nombreux édifices ont été restaurés jusqu’à la Première guerre mondiale. Les dossiers provenant du Kaiserliches Denkmalarchiv permettent d’en témoigner[6].
Depuis les travaux du chanoine Joseph Walter (1881-1952) consacrés aux peintures médiévales en Alsace, publiés entre 1932 et 1934[7], le sujet n’a fait l’objet que d’analyses ponctuelles et a été essentiellement abordé sous l’angle de la monographie.
La thèse d’Anne Vuillemard-Jenn sur La polychromie de l’architecture à travers l’exemple de l’Alsace. Structure et couleur : du faux appareil médiéval aux reconstitutions du XXe siècle, soutenue en 2003 à l’Université de Strasbourg, fut un autre pas décisif dans la connaissance des décors peints.
L’étude de la peinture murale se pratique sur le terrain. Cette démarche avait été amorcée par Aimée Neury lors de ses tournées effectuées pour le compte du Musée des monuments français qui lui permirent de visiter l’Alsace en 1960.
Depuis quelques décennies, l’approche archéologique du patrimoine bâti a permis de nouvelles découvertes dans le domaine du décor civil mêlant peintures murales et plafonds peints comme dans la droguerie du Serpent et dans l’ancien hôtel des Joham de Mundolsheim, au 15 rue des Juifs à Strasbourg.
Les recherches et les chantiers se multiplient, en France et outre Rhin, mais ils ne donnent pas toujours lieu à des publications. L’objectif majeur des actes du colloque de Guebwiller est donc de contribuer à une meilleure connaissance de la peinture murale dans l’espace transfrontalier du Rhin supérieur en soulignant notamment les apports récents obtenus par l’étude de ce patrimoine fragile et souvent méconnu.
Les 30 intervenants ont abordé de nombreuses thématiques. Celles-ci ont présenté les foyers artistiques du Rhin supérieur, l’iconographie, l’historiographie, la conservation-restauration, la technique et les matériaux ; le tout sur un temps long allant du Moyen Âge à nos jours. Aucun aspect n’a été négligé pour offrir un large aperçu de l’art mural et pour ouvrir de nouvelles perspectives. Beaucoup de sujets traités étaient inédits, les découvertes récentes et les nouvelles technologies ont été mises en valeur. La richesse du patrimoine peint se manifeste par les transferts iconographiques et stylistiques, la mobilité des artistes, la grande qualité de bon nombre de décors. Elle incite à valoriser et à préserver ce patrimoine peint qui enrichit chaque site.
Les intervenants ont proposé ainsi une large réflexion autour de la peinture murale en Alsace, au cœur du Rhin supérieur. Un premier aperçu fut la visite de l’église de Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg, restaurée autour de 1900, avec sa thématique complexe liée notamment au contexte historique et historiographique.
La présentation des peintures murales de Guebwiller, d’Ottmarsheim, d’Oltingue, Strasbourg et Colmar offrit un passionnant parcours à travers les siècles, les paysages artistiques et l’histoire des restaurations. Les décors figurés, mais aussi la polychromie architecturale ont été particulièrement traités. L’étude du patrimoine protestant s’imposait dans les territoires influencés par la Réforme. Une large place a ainsi été réservée au traitement des décors peints au cours des XIXe et XXe siècles. Enfin, les spécialistes venus d’Allemagne et de Suisse ont témoigné de leurs expériences et recherches menées, notamment dans le Bade-Wurtemberg et à Berne.
24 communications ont été proposées dont 7 en langue allemande, les autres en français. La traduction simultanée a été parfaitement assurée par des interprètes professionnels et a été extrêmement appréciée par tous les participants, francophones et germanophones.
La présente publication en ligne reflète ce bilinguisme, aussi enrichissant que nécessaire.
Elle regroupe les textes des communications et intègre les descriptions des édifices visités lors du colloque : l’église de Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg et les églises de Baldenheim et de Wihr-en-Plaine (Horbourg-Wihr).
Remerciements
Les éditeurs remercient tous les partenaires et mécènes qui ont apporté leur soutien scientifique, financier et matériel à ce colloque.
Merci aux membres du comité scientifique – Mireille-Bénédicte Bouvet, Jean-Luc Eichenlaub, Ilona Hans-Collas, Dörthe Jakobs, Philippe Lorentz, Cécile Modanese et Anne Vuillemard-Jenn – qui ont largement contribué à la réussite du colloque.
Nous remercions chaleureusement Les Dominicains de Haute-Alsace-Centre Culturel de Rencontres et tout particulièrement sa présidente Brigitte Klinkert – alors également présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin qui lui aussi a apporté son soutien au colloque – et le Directeur des Dominicains de Haute-Alsace, Philippe Dolfus, qui dès la première rencontre nous a témoigné son enthousiasme pour le projet.
Nous tenons à exprimer notre gratitude à la Communauté de Communes de la Région de Guebwiller, son président Marc Jung et son vice-président Alain Grappe, qui permirent l’accueil du colloque au pôle culturel et touristique du château de la Neuenbourg. Merci à Cécile Modanese, notre première interlocutrice, qui fut séduite par le projet et qui avec toute son équipe du Pays d’Art et d’Histoire a apporté, tout au long des mois de préparation, une aide essentielle à l’organisation. Nos vifs remerciements s’adressent à la Conférence franco-germanophone du Rhin supérieur – sans elle la traduction simultanée lors du colloque n’aurait pas été possible –, ainsi qu’à la Région Grand Est et à son président Jean Rottner, notamment pour le soutien financier accordé à la présente publication. Il nous est également agréable de remercier vivement la Société JEHOL et son gérant Stephan Jenn.
Merci enfin au personnel de l’office de Tourisme de Guebwiller, aux paroisses de Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg et de Baldenheim et aux membres de l’association d’archéologie et d’histoire de Horbourg-Wihr, ARCHIHW.
[1] Voir le site internet : https://grpm.asso.fr/
[2] Voir : https://grpm.asso.fr/activites/colloques-organises-par-le-grpm/
[3] Actes en ligne : http://expos.maine-et-loire.fr/culture/peintures_murales/journees_etudes/journees_etudes.asp
[4] Alexandre STRAUB, « Trouve-t-on en Alsace des peintures murales remontant au XIIe et au XIIIe siècle ? Quelles sont en général les peintures murales les plus remarquables ? », dans Congrès archéologique de France. Séances générales tenues à Strasbourg, à Rouen, à St.-Lo et à Vire, en 1859, par la Société française d’archéologie pour la conservation des monuments historiques. XXVIe session, Paris, Derache, Caen, A. Hardel, 1860, p. 416-419.
[5] https://www.inha.fr/fr/ressources/publications/publications-numeriques/dictionnaire-critique-des-historiens-de-l-art/straub-alexandre.html
[6] https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Grand-Est/actu/an/2021/Le-fonds-Denkmalarchiv/Le-Denkmalarchiv-inventorier-conserver-populariser
[7] Joseph WALTER, « Les peintures murales du Moyen Âge en Alsace », Archives alsaciennes d’histoire de l’art, 1932, 11, p. 51-74, 1933, 12, p. 50-70, 1934, 13, p. 1-4, 1936, 16, p. 125-139.