Cécile Modanese
Animatrice de l’architecture et du patrimoine, Communauté de Communes de la Région de Guebwiller
Résumé : Vues du XXIe siècle, les peintures murales peuvent paraître inabordables tant les codes picturaux ont évolué du Moyen Âge à nos jours. Le réseau national des Villes et Pays d’art et d’histoire a pour objectif de valoriser et sensibiliser au patrimoine dans l’ensemble de ses composantes : du patrimoine castral, à l’architecture des Trente Glorieuses, en passant par les peintures murales. La Communauté de Communes de la Région de Guebwiller fait partie de ce réseau depuis 2004. Par des outils et méthodes innovants, définis en fonction des différents types de public, le Pays d’art et d’histoire de la région de Guebwiller éveille progressivement les regards aux peintures murales des Dominicains ou encore de l’église Saint-Maurice de Soultz. De la traditionnelle visite guidée, aux ateliers pédagogiques « Peintures murales VS graff » ou « Phylactères VS bulles » pour les plus jeunes, en passant par le projet de peintures sur des bennes à verre ou encore le dôme numérique habillé d’images des peintures murales : tout est prétexte à transmettre et expliquer le principe des peintures murales. La riche collaboration avec le Centre Culturel de Rencontre – Les Dominicains de Haute-Alsace – permet l’utilisation des technologies les plus innovantes au profit de la médiation culturelle.
Welche Möglichkeiten gibt es in einer Landschaft mit dem Label „Land der Kunst und der Geschichte“ zur Sensibilisierung für die Bedeutung mittelalterlicher Wandmalereien?
Zusammenfassung: Aus der Sicht des 21. Jahrhunderts können Wandmalereien unzugänglich wirken, da sich die Bildinhalte vom Mittelalter bis heute stark verändert haben. Ziel des nationalen Netzes mit der Auszeichnung „Stadt und Land der Kunst und der Geschichte“ („Ville et Pays d’art et d’histoire“) sind die Förderung und Sensibilisierung für das kulturelle Erbe im Allgemeinen, für Burgen, für die Architektur der „Dreißig Glorreichen Jahren“ sowie auch für Wandmalereien. Der Gemeindeverband „Communauté de Communes“ der Region von Guebwiller ist seit 2004 diesem Netz angeschlossen. Mit innovativen Mitteln und Methoden, die auf das jeweilige Publikum abgestimmt sind, weckt das „Pays d’art et d’histoire“ der Region Guebwiller nach und nach das Interesse an den Wandmalereien des Dominikanerklosters oder der Kirche Saint-Maurice in Soultz. Von der traditionellen Führung über die pädagogischen Workshops „Wandmalerei vs Graff“ oder „Schriftbänder vs Sprechblasen“ für die Jüngsten, bis zu dem Wandmalerei-Projekt auf Glascontainern oder die digitale, mit Bildern von Wandmalereien bekleidete Kuppel: alles dient dem Zweck, das Prinzip von Wandmalereien zu erläutern. Die bereichernde Zusammenarbeit mit dem kulturellen Zentrum der Dominikaner („Centre Culturel de Rencontre — Les Dominicains de Haute-Alsace“) ermöglicht den Gebrauch von neuesten Technologien zugunsten dieser Kulturvermittlung.
Les Animateurs de l’architecture et du patrimoine et leurs équipes sont de joyeux généralistes, qui un jour travaillent sur les Trente Glorieuses, le lendemain sur les peintures murales, en passant par l’architecture usinière ou les murets de pierres sèches. Avec un objectif récurrent : ouvrir le regard des habitants d’un territoire. Pour cela, les services s’appuient sur la connaissance accumulée, peuvent être amenés à se lancer eux-mêmes dans certaines recherches, ou à nouer des partenariats avec divers spécialistes, en fonction des sujets traités.
La région de Guebwiller conserve sur son territoire des peintures murales de différentes époques, dont les plus connues sont bien sûr celles de l’ancien couvent des Dominicains, aujourd’hui Centre culturel de rencontre.
Les outils développés pour sensibiliser aux peintures murales sont tout d’abord liés à l’appartenance de la Région de Guebwiller à un réseau national, celui des Villes et Pays d’art et d’histoire (partie 1), dont l’objectif est de valoriser l’ensemble du patrimoine y compris le plus spécifique, comme les peintures murales, qui nécessitent plus particulièrement l’usage d’une médiation (partie 2). Enfin, un focus sera fait sur certaines actions récentes de valorisation dans le domaine (partie 3).
Le réseau et ses objectifs
La région de Guebwiller est labellisée Pays d’art et d’histoire et fait partie du réseau national des Villes et Pays d’art et d’histoire, un label attribué par le ministère de la Culture, donnant lieu à la mise en place d’une convention entre ce dernier et la collectivité. Ce réseau, composé actuellement de 203 Villes et Pays d’art et d’histoire, dont 15 dans le Grand Est, existe depuis 35 ans, et a été le laboratoire de nouveaux dispositifs de médiations culturelles.
Les objectifs de la convention Pays d’art et d’histoire s’articulent autour de quatre axes. Tout d’abord, il s’agit de valoriser le patrimoine dans toutes ses composantes : l’art roman, mais aussi le patrimoine industriel, les paysages, ou encore l’architecture contemporaine, patrimoine de demain. Il s’agit ensuite de promouvoir la qualité architecturale et urbaine. Ces deux premiers axes s’expriment par le développement d’une politique des publics où sont concernés aussi bien les habitants que les touristes, les adultes que le jeune public. Enfin, le dernier objectif est de mettre en place une offre touristique de qualité sur laquelle peut s’appuyer un territoire dans une démarche de développement de l’attractivité du territoire.
La Communauté de Communes de la Région de Guebwiller a obtenu le label Pays d’art et d’histoire en 2004 pour la première fois. Ce dernier a été renouvelé en 2015 pour une durée de 10 ans. La création d’un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) au Pôle culturel et touristique de la Neuenbourg a été au cœur de la convention.
La valorisation d’un patrimoine spécifique : les peintures murales
L’acte de valoriser le patrimoine passe tout d’abord par le fait de le rendre accessible par une simple ouverture, ou par un dispositif plus complexe, supposant sa sécurisation, une mise en lumière, etc. C’est seulement à partir du moment où ce prérequis est atteint que la démarche de médiation peut être engagée. Celle-ci nécessite de cibler le public, ainsi que le message. Pour qui, pourquoi valorise-t-on ? La réflexion se révèle essentielle à la politique de médiation patrimoniale. Elle met en évidence des attentes divergentes selon les publics. Un public familial espérera une approche plus ludique qu’un enseignant, et pourtant, dans les deux cas, le jeune public est concerné. La première catégorie de visiteurs est dans l’attente d’une découverte culturelle dans le plaisir, la deuxième relève d’un cadre scolaire plus contraint. L’étude des publics permet aussi de diagnostiquer les évolutions des pratiques, concernant le temps alloué, les habitudes de lecture. De la même manière, le fait de s’interroger en profondeur sur le destinataire du moyen de médiation permet d’anticiper ses références et son socle de connaissances.
Alors que ces idées générales concernent dans son ensemble le monde de la médiation culturelle, le phénomène est encore exacerbé quand il s’agit d’iconographie, et en l’occurrence des peintures murales. La typologie de public se décline entre les amateurs de patrimoine, le public touristique, excursionniste en groupe, les visiteurs individuels, le public familial, et enfin le jeune public dans le cadre scolaire. Donner à lire les peintures murales passe par différentes approches, de la plus traditionnelle à la plus innovante, développées dans le réseau des Villes et Pays d’art et d’histoire. La visite guidée nécessite une importante connaissance, dont l’acquisition est facilitée par l’existence de publications ou d’études de l’Inventaire. Lors de la création de l’Inventaire général du patrimoine en 1964, le canton de Guebwiller a bénéficié de la réalisation d’un inventaire topographique très complet[1]. Il apporte encore aujourd’hui une connaissance considérable sur le patrimoine, notamment en matière de peintures murales. Les différents chantiers de restauration, menés au cours des XIXe, XXe et XXIe siècles ont permis d’étoffer progressivement l’analyse de ce patrimoine spécifique. Hermann Velte (1883-1946) a tracé des relevés très précis durant la Deuxième Guerre mondiale, aujourd’hui conservés aux Archives départementales du Haut-Rhin, qui font l’objet d’un article dédié[2].
L’enjeu de formation des guides est cependant important. En effet, l’iconographie religieuse est un sujet qui fait peur, et qui passe souvent pour de l’érudition. Les formats de visites sont variés : de la visite-conférence très complète de deux heures, à la visite flash d’une demi-heure lors de la pause du déjeuner, destinée aux personnes en activité professionnelle dans la région de Guebwiller.
En complément de ces visites guidées destinées aux groupes, les peintures murales sont abordées dans les différentes brochures papier, éditées par le service Pays d’art et d’histoire[3]. Toujours à destination du public individuel, des panneaux explicatifs disposés sur des pupitres ont été placés au pied des peintures du jubé des Dominicains à Guebwiller pour aider à la compréhension.
Les actions jeune public de sensibilisation aux peintures murales font l’objet d’une démarche spécifique. Elles peuvent avoir lieu soit dans le cadre d’une découverte globale du couvent, largement ouvert aux établissements scolaires des différents niveaux, ou lors d’actions éducatives spécifiques, menées par du personnel compétent, notamment des guides conférenciers agréés (fig. 1).
Depuis les années 2010, le développement des nouvelles technologies amène à repenser la médiation patrimoniale. L’usage du numérique permet par exemple, une utilisation autonome, flexible d’un point de vue horaire, mais aussi en fonction des envies, et du temps disponible de chacun. Les déclinaisons sont importantes, grâce à des QR codes ou des applications mobiles. Ces technologies répondent aux exigences de conservation et de réversibilité, ce qui n’est pas négligeable. Les années 2010 sont celles de la réalité augmentée (superposition, en temps réel, d’une image virtuelle sur les éléments de la réalité). De « Paris vu par les peintres » à « Imayana » (Bordeaux), en passant par « Clunyvision » et « Jumièges 3D », les propositions utilisant les images numériques sont diverses[4]. Leur usage est en pleine expansion et pourrait, à l’avenir, devenir une pratique culturelle courante. Le passage aux TIC (Techniques de l’Information et de la Communication) dans la médiation du patrimoine nécessite une démarche progressive, voire planifiée, cela pour permettre un temps d’adaptation et de formation, de création des outils, et de l’investissement. Son usage ne doit pas constituer une fin en soi, mais un complément ou un support à la visite « normale », libre ou accompagnée, toujours précédé du questionnement : pour qui, pourquoi ?
La région de Guebwiller s’est emparée de ces TIC, et a développé dès 2015 une application mobile gratuite dénommée Les voies du patrimoine, donnant accès à une information historique et patrimoniale de qualité : commentaires audio, galerie d’images et géolocalisation. Les principaux usagers sont les visiteurs touristiques. Plus de 100 sites bénéficient de ce dispositif d’interprétation issu de recherches de l’équipe du service Pays d’art et d’histoire. Parmi eux, l’histoire et l’architecture de l’ancien couvent des Dominicains sont expliquées à travers huit points d’arrêt. Une version jeune public a été enregistrée afin de permettre aux familles, souvent exclues des approches traditionnelles comme la visite guidée, de bénéficier d’une médiation adaptée à leur pratique. Ainsi, Séraphin, le fantôme, référence à au frère prêcheur Séraphin Dietler (vers 1650-1723) auteur de la Chronique des Dominicains de Guebwiller, a accompagné un temps la découverte didactique du couvent des Dominicains.
Focus sur certaines actions en faveur de la valorisation des peintures murales
La perspective de l’organisation d’un colloque dédié aux peintures murales en Alsace a fait naître l’envie d’aller encore plus loin dans la sensibilisation à ce patrimoine. Celles de l’ancien couvent des Dominicains constituent un merveilleux exemple. Depuis plusieurs années, les Dominicains de Haute-Alsace, Centre culturel de rencontre et le service Pays d’art et d’histoire de la Communauté de Communes de la Région de Guebwiller travaillent en partenariat afin de mener des actions de valorisation du patrimoine, au sein de l’ancien couvent, mais aussi hors les murs, à travers le territoire labellisé Pays d’art et d’histoire. Les compétences spécifiques du Centre audiovisuel des Dominicains de Haute-Alsace apportent les techniques sons et vidéos, au service des actions didactiques et de la médiation du patrimoine. La thématique des peintures murales a alors rassemblé ces deux partenaires, autour de l’accueil de ce colloque, mais aussi en envisageant des actions moins ponctuelles. Tout d’abord, le Centre audiovisuel des Dominicains de Haute-Alsace a mené la création d’un vidéo-mapping dans une approche artistique dans lequel les peintures murales sont réinterprétées (fig. 2 et 3).
Un projet ACMISA[5] fédérateur Des peintures murales du patrimoine local à une création contemporaine a germé dans l’objectif de faire découvrir, mais aussi expérimenter, les peintures murales au jeune public. Nous sommes, aujourd’hui, constamment entourés d’images publicitaires ou numériques. Toutefois, cette catégorie de visiteurs n’a pas forcément conscience que toutes ces images sont utilisées pour véhiculer des messages, et que des techniques similaires étaient utilisées dès le Moyen Âge pour transmettre de l’information.
Ainsi, la première étape consiste en la découverte du couvent et des missions des frères Dominicains avec un guide-conférencier du Pays d’art et d’histoire. Les élèves appréhendent et expérimentent les peintures murales par le biais d’exercices et de jeux les rendant acteurs. Lecture d’image, découverte des codes iconographiques et des thématiques médiévales ou encore des techniques des peintures murales ont ainsi été au cœur des échanges. Cet atelier est complété par la découverte d’un deuxième site patrimonial situé dans l’environnement proche des élèves, et lié à la thématique : le retable de Buhl ou les peintures murales de l’Église Saint-Maurice de Soultz, qui est l’occasion pour eux d’exploiter leurs connaissances et d’aiguiser leur regard. Lors de ces deux ateliers, puis en classe avec les professeurs, les élèves sont également initiés à la lecture des images de notre environnement quotidien contemporain (publicités, logos, panneaux signalétiques…).
Les élèves se familiarisent ensuite avec deux arts qui utilisent l’image pour transmettre des messages ou des émotions : les peintures murales contemporaines pour les plus grands, et la bande dessinée pour les écoles primaires (CE et CM). Cette découverte se fait en plusieurs temps : rencontres avec les artistes, interventions de la Médiathèque de Guebwiller et créations plastiques encadrées par Simon Michel, graffeur-fresquiste, ou Cyrille Meyer, illustrateur, en fonction du projet de classe (fig. 4). L’accompagnement des artistes débouche alors sur la création d’œuvres : des planches de bandes dessinées, et des fresques et peintures murales itinérantes.
Un projet avec le service environnement de la Communauté de Communes de la Région de Guebwiller prend forme, en parallèle, par un « habillage » de bennes à verre (fig. 5 et 6). Plusieurs graffeurs participent à cette création artistique et urbaine. Plusieurs thèmes y sont développés autour du tri, mais aussi de l’environnement patrimonial où se situent les bennes (abbaye de Murbach, anciennes usines textiles, ou encore architecture des Trente Glorieuses). D’autre part, Habitat de Haute-Alsace et la Ville de Guebwiller réfléchissent à plusieurs projets de peintures murales contemporaines en centre-ville et au cœur des quartiers périphériques. Ce projet pédagogique ACMISA s’inscrit donc dans une véritable dynamique autour des peintures murales sur le territoire de la région de Guebwiller.
Une idée folle est née de ce projet : utiliser le numérique pour la valorisation des peintures murales du couvent des Dominicains en créant un outil de lecture, sorte de réalité augmentée, qui permettrait d’identifier les personnages reproduits, et intégrant les narrations des scènes représentées. L’usage de ce type de dispositif est encore expérimental pour ce qui concerne les peintures murales, mais répondrait à un besoin en médiation culturelle. Certes, la présence d’un guide-conférencier est une situation idéale, lorsque les moyens le permettent et que le public vient de façon regroupée. Cependant, le public touristique individuel, ou même excursionniste local n’accède pas systématiquement à l’information. Il s’agit alors de croiser la dimension ludique et la dimension didactique, grâce à cette technique. Toutefois, comme dans l’ensemble des actions et dispositifs de médiation mis en place dans le cadre du label Pays d’art et d’histoire par la Communauté de Communes de la Région de Guebwiller, une attention particulière est portée à l’accessibilité, qu’on pourrait dénommer « la vulgarisation », tout en maintenant une rigueur dans l’analyse historique.
Conclusion
Les dispositifs de valorisation des peintures murales illustrent le rôle d’un Pays d’art et d’histoire, à savoir, sensibiliser aux patrimoines les moins connus et les valoriser, ici les peintures murales, tout en créant des synergies entre les acteurs culturels, artistiques et patrimoniaux.
Dans cet objectif, des médiations sont conçues après une étude attentive du public, de ses pratiques et de ses attentes, sans cesse en évolution. Les médiations répondent alors à une intention précise et identifiée, condition sine qua non pour une valorisation réussie.
[1] Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Commission régionale d’Alsace, Haut-Rhin, Canton Guebwiller, 2 volumes, Paris, Imprimerie nationale, 1972.
[2] Voir dans le même volume l’article de Jean-Luc EICHENLAUB, « Des travaux réalisés sur les peintures murales en Alsace, spécialement aux Dominicains de Guebwiller, pendant la Deuxième Guerre mondiale ».
[3] Un « laissez-vous conter » consacré au couvent des Dominicains aborde largement les peintures de la nef.
[4] Pour aller plus loin sur les expériences numériques autour de la valorisation du patrimoine, voir Réalité augmentée et patrimoine, Revue Espaces, septembre 2013, n° 314, 160 p. ; Valorisation numérique des patrimoines, guide des sites et cités remarquables de France, 2017 ; Livre blanc Heritech, numérisation des patrimoines, 2021.
[5] Le GIP ACMISA (Groupement d’intérêt public – action culturelle en milieu scolaire d’Alsace) est constitué de l’Académie, la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles Grand Est), des collectivités (villes de Colmar, Mulhouse, Strasbourg et Eurométropole de Strasbourg) et des mécènes (Crédit Mutuel enseignant), en partenariat avec les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et la région Grand Est. Les différents projets du Gip-Acmisa font l’objet d’un appel à projets et d’un financement spécifique.