Anne Vuillemard-Jenn

Docteur en histoire de l’art et membre du GRPM

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Résumé : Après un agrandissement à la fin du XVe siècle par les Ribeaupierre, l’église de Wihr-en-Plaine a reçu au début du siècle suivant un décor peint conservé dans le chœur. Les murs sont ornés de neuf scènes tirées de la légende de sainte Marguerite, de sa rencontre avec le gouverneur romain Olibrius à son martyre. Dans la voûte, on peut observer les symboles des évangélistes ainsi que les Pères de l’Église : saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Grégoire, représentés assis. Ce décor est accompagné de remplages feints d’une remarquable qualité, dans une tonalité reprenant celle du grès local. Ces peintures ont été découvertes à la fin du XIXe siècle et relevées en 1900 par le peintre Carl Schilling de Fribourg-en-Brisgau.

Die Wandmalereien der St. Michael-Kirche in Wihr-en-Plaine (Horbourg-Wihr), von ihrer Wiederentdeckung bis zu ihrer Restaurierung

Zusammenfassung: Nach der Vergrößerung am Ende des 15. Jahrhunderts durch die Herren von Ribeaupierre (Rappoltstein) erhielt die Kirche von Wihr-en-Plaine (Weier auf’m Land) im folgenden Jahrhundert eine Ausmalung im Chor. Die Wandflächen sind mit neun Bildszenen aus der Margaretenlegende, von der Begegnung der Margareta mit dem römischen Präfekten Olibrius bis zu ihrem Märtyrertod, verziert. Das Gewölbe zeigt die vier Evangelistensymbole sowie die vier Kirchenväter: die Heiligen Augustinus, Ambrosius, Hieronymus und Gregor den Großen. Umgeben werden die Figuren von gemalten besonders qualitätsvollen Scheinarchitekturen, im Farbton des lokalen Sandsteins. Diese Malereien wurden Ende des 19. Jahrhunderts freigelegt und 1900 durch den Maler Carl Schilling aus Freiburg im Breisgau durch Aquarellkopien dokumentiert.

L’église Saint-Michel

Malgré le classement dès 1898 de ses peintures murales du XVIe siècle, la petite église de Wihr-en-Plaine, composée d’une courte nef plafonnée et d’un chœur de plan carré, demeure peu étudiée[1]. Les murs massifs de la tour-chœur, dans laquelle on accède par un arc triomphal en plein cintre, pourraient remonter au XIVe siècle. À partir de 1478, le village devint propriété des Ribeaupierre[2] qui entreprirent l’agrandissement de l’édifice, consacré à saint Michel en 1498[3]. Le portail, aux moulures accusant la fin du XVe siècle et portant leurs armes aux côtés de celles des Habsbourg, témoigne de cette intervention. En outre, la nef et le chœur ont été percés de baies au remplage caractéristique du gothique tardif. Dans l’ancien chœur, une voûte d’ogives, dont les nervures retombent dans les murs par des pénétrations, a été mise en place, et les étages supérieurs de la tour ont également été remaniés autour de 1505.

La Réforme a été introduite à Wihr au milieu du XVIe siècle, ce qui entraîna probablement la disparition des peintures sous un badigeon. Toutefois, après cette date, l’église n’a plus servi qu’exceptionnellement au culte qui était célébré à Horbourg. Pendant la Guerre de Trente ans, l’édifice a été affecté à des usages profanes, et il semble qu’il tombait en ruines quand la municipalité en demanda la réparation en 1739. Des travaux ont alors été effectués dans la tour[4]. Une importante restauration a ensuite été menée à la fin du XIXe siècle lors du dégagement des peintures et leur relevé par Carl Schilling (1855-1924). D’autres travaux ont eu lieu en 1933 en raison des dégâts causés deux ans plus tôt par une tempête[5] et l’ensemble du bâtiment a également eu à souffrir des combats durant la Deuxième Guerre mondiale. Enfin, la dernière rénovation concernant le décor s’est déroulée en 1979[6].

Le décor peint

Aucun décor peint ne subsiste dans la nef. En revanche, les peintures du début du XVIe siècle prennent place sur les murs et les voûtes du chœur (fig. 1 à 4). Sur une hauteur de 1m10 à 1m20, le soubassement est couvert d’un enduit moderne. Au-dessus de ce premier niveau, les murs sont subdivisés horizontalement et verticalement par des bandes ocre-rouge. À l’intérieur de ces cadres se déroulent neuf scènes de la légende de sainte Marguerite, de sa rencontre avec le gouverneur romain Olibrius à son martyre. Sous les différents tableaux, entre les mêmes bandes colorées, on devine encore, sans pouvoir toujours les déchiffrer, des inscriptions en lettres gothiques tracées en noir sur un fond blanc, qui permettaient d’identifier les différents épisodes évoqués. Sur le fond bleu de la voûte, des nuages blancs ont été peints le long des nervures. Dans chaque voûtain, on peut observer le symbole d’un évangéliste ainsi que l’un des Pères de l’Église. Saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Grégoire sont représentés assis[7]. Leurs sièges reposent sur d’imposantes consoles en trompe-l’œil, d’un gris évoquant la pierre de taille, et ces supports paraissent gravés du nom des saints. Dans les écoinçons, deux petits anges musiciens émergent des nuages. Au XIXe siècle, on pouvait encore relever le millésime de 1511 sur le mur nord, datation probable des peintures[8].

Fig. 1. Wihr-en-Plaine (68), église Saint-Michel. Mur ouest du chœur : sainte Marguerite dans l’huile bouillante (© Anne Vuillemard-Jenn, 2018).

Fig. 2. Wihr-en-Plaine (68), église Saint-Michel. Mur ouest du chœur : sainte Marguerite et le démon (© Anne Vuillemard-Jenn, 2018).

Fig. 3. Wihr-en-Plaine (68), église Saint-Michel. Mur nord du chœur : la custode (© Ernest Muller).

Fig. 4. Wihr-en-Plaine (68), église Saint-Michel. La voûte du chœur (© Anne Vuillemard-Jenn, 2018).

Le cycle consacré à sainte Marguerite mériterait incontestablement une analyse iconographique et stylistique approfondie[9]. Les Ribeaupierre semblent avoir eu un attachement particulier pour la sainte à laquelle ils ont consacré d’autres œuvres d’art[10]. Concernant les peintures de la voûte, il apparaît évident que les symboles des évangélistes ont été inspirés par les gravures de Martin Schongauer (vers 1445-1491) les montrant isolés sur un fond neutre (fig. 8)[11]. Cette proximité est particulièrement frappante dans la figure de l’ange de saint Matthieu. En effet, on retrouve la même position du corps, ainsi que le vêtement aux plis cassés et une semblable courbe dessinée par le phylactère se déployant autour des deux bras de l’ange (fig. 4 et 14). L’aigle présenté de profil, pattes écartées et ailes rejetées en arrière dans un mouvement dynamique, permet de faire la même constatation. Tout comme le taureau dont la queue, comme dans la gravure du maître colmarien, se relève pour venir se poser sur son dos, tandis que le phylactère s’enroule de façon comparable autour de ses pattes. Enfin, le lion ouvrant la gueule et bombant le poitrail, achève de confirmer cette dette à l’égard de l’estampe. Ces similitudes montrent le rôle de la gravure de Schongauer comme diffusion de modèles. Dès les années 1490, les peintures du chœur de Baldenheim empruntaient leur iconographie et leur composition à ces mêmes sources[12]. Celles de l’église Saint-Ulrich d’Altenstadt, consacrées également aux symboles des évangélistes, permettent de faire les mêmes constatations à travers ce décor du deuxième quart du XVIe siècle. Ces peintures, dégagées et relevées par Schilling, un an à peine après celles de Wihr-en-Plaine, ont subi une très lourde restauration, achevée en 1906 alors qu’il était également chargé de la création d’un nouveau décor pour le chœur de cet édifice. Schilling avait certainement perçu, tant à Wihr qu’à Altenstadt, à quel point ces décors étaient tributaires du modèle de Schongauer, et on peut se demander dans quelle mesure il n’a pas encore accentué cette proximité, se servant des gravures pour guider sa main dans le comblement des lacunes.

La peinture ornementale

Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons plus particulièrement à étudier le lien que la polychromie permet d’établir entre la représentation picturale et l’architecture. Les bandes ocre rouge qui, sur les murs, structurent la composition sont complétées par d’autres bandes de la même couleur, tracées à l’emplacement des arcs formerets faisant défaut. Cette même couleur a été appliquée sur les angles formés par l’intrados de l’arc triomphal. Les encadrements des baies sont soulignés de manière similaire, et une seconde bande ocre rouge prend place au fond des ébrasements. Le remplage des baies conserve des traces d’ocre rouge, montrant que ces parties en pierre étaient traitées en accord avec le reste du décor. On peut noter sur le réseau que la couche picturale a été appliquée sur une préparation de couleur blanche. Dans chaque voûtain, à la retombée des nervures, des réseaux aux formes variées, caractéristiques du gothique tardif, ont été peints entre l’ogive et le formeret (fig. 5). Ils semblent constitués d’une seule pièce puisqu’aucun faux joint n’a été indiqué. Sur ces éléments tracés en rouge orangé, des ombres indiquées avec beaucoup de finesse en ocre rouge apportent une forte plasticité. Cet artifice et la couleur évoquant le grès local en font une représentation qui s’apparente au trompe-l’œil. L’extrême sobriété de la construction est atténuée par le recours à ces motifs ornementaux évoquant un usage plus important de la pierre de taille. D’autre part, un jeu visuel intéressant s’établit entre les remplages réels des baies et ceux, simulés, des voûtains. Bien que cet exemple soit unique dans les églises gothiques d’Alsace, à la fin du Moyen Âge, de tels remplages, véritables ou feints, se sont multipliés dans les édifices les plus simples comme les plus prestigieux[13]. Les cas les plus nombreux et les plus étonnants sont conservés en Allemagne. On pourrait citer notamment la chapelle funéraire d’Ernst von Sachsen dans la cathédrale de Magdebourg. Autour de 1495, les voûtains ont été ornés de motifs flamboyants particulièrement illusionnistes grâce à l’utilisation de camaïeux parfaitement maîtrisés[14]. Dans la chapelle castrale de Ziesar, la très large place accordée aux faux remplages donne l’impression d’une dématérialisation des voûtes et d’une modification profonde de la structure par la polychromie[15]. À Wihr-en-Plaine, la primauté revenant aux peintures figurées, la transformation de l’architecture est plus mesurée, mais ce décor demeure d’un grand intérêt.

Fig. 5. Wihr-en-Plaine (68), église Saint-Michel. Les remplages feints : voûtains sud et ouest du chœur (© Anne Vuillemard-Jenn, 2018).

La petite custode du mur nord du chœur est elle aussi incluse dans la représentation picturale (fig. 3). De dimensions très modestes, s’ouvrant par un simple arc en plein cintre surbaissé, elle est complétée par un décor peint. Celui-ci a été tracé sur les pierres qui la composent, mais aussi sur le mur lui-même. Par la peinture, on a tenté d’augmenter la taille de la custode. On a cherché à rendre ses formes plus proches de l’exubérance du gothique tardif par la réalisation d’une tablette feinte, surmontée d’un arc en accolade composé d’éléments végétaux et s’achevant en un fleuron. Ces motifs ornementaux sont mis sur le même plan que la scène consacrée à la Distribution de la manne dans le désert, prenant place aux côtés de la custode, soulignant ainsi son lien avec la célébration de l’Eucharistie. D’autres édifices de la région montrent que le mobilier liturgique a parfois été pris en compte par les peintres. Ainsi, à Fouday, la custode du XVe siècle a été complétée par un pied de calice tracé sur le mur en ocre rouge, et très certainement contemporain des peintures figurées et la polychromie du XVIe siècle. À Baldenheim, après la Réforme, c’est la cuve de la chaire qui a été dotée d’une console monumentale peinte en ocre rouge et en noir sur le mur blanc[16]. Le décor de la custode de Wihr-en-Plaine pourrait également être rapproché des arcs en accolade représentés à la fin du Moyen Âge au-dessus des portes du transept de Saint-Maurice de Soultz et de la chapelle Saint-Michel de Saverne. Dans ces trois cas, on retrouve une même tendance à la « végétalisation » de l’architecture, illustrée non pas dans la pierre, mais par le biais de la polychromie.

À Wihr-en-Plaine, certains éléments semblent postérieurs à l’ensemble du décor et pourraient dater de la fin du XVIe siècle. En effet, sur le fond blanc de l’embrasure des deux baies, on distingue des cornes d’abondance et des grotesques qui témoignent d’une inspiration Renaissance. Sur l’intrados de l’arc triomphal, au-dessus de deux petits vases, des motifs végétaux se détachent sur un fond vert. Ces ornements prennent place entre les bandes ocre rouge qui paraissent contemporaines du décor médiéval (fig. 6).

Fig. 6. Wihr-en-Plaine (68), église Saint-Michel. Fenêtre orientale du chœur (© Anne Vuillemard-Jenn, 2018).

Les restaurations des peintures

La date à laquelle les peintures ont disparu sous un badigeon n’est pas précisément connue. La parfaite intégration dans l’ensemble du décor des motifs Renaissance de l’intrados de l’arc triomphal ou des baies, laisse penser que les peintures de 1511 étaient toujours visibles. Il serait toutefois intéressant de pratiquer des sondages sur ces parties repeintes afin de voir si des ornements plus anciens subsistent.

Dans son ouvrage de 1884, Franz Xaver Kraus (1840-1901) ne fait aucunement mention d’un décor peint dans cet édifice[17]. Plus personne ne semblait alors avoir connaissance de son existence. En 1888, la chaux recouvrant les peintures a été grattée durant vingt jours entre août et septembre par le maçon Matthias Gantz. Cette intervention, réclamée par le pasteur qui en a relaté les détails, a été effectuée sous la surveillance de l’architecte Charles Winkler (1834-1908)[18]. On ignore toutefois le nombre de couches de badigeon qui ont été enlevées, la méthode choisie, et si des décors plus récents ont été sacrifiés. Sur un cliché pris après ces travaux, on discerne des fragments de badigeon blanc subsistant sur les nervures. Ceci permet de dire que les pierres ont été également nettoyées[19]. Il est possible que des traces de couleur, semblables à celles du remplage des baies, aient disparu lors de ce débadigeonnage, mais il n’en a jamais été fait mention. On peut également envisager que la polychromie originale des ogives ait été grattée bien avant, lorsque les peintures des murs et des voûtes étaient masquées. Dans tous les cas, il serait très difficile de concevoir ce décor, incluant des formerets et des réseaux simulés, sans une mise en couleur des nervures. Actuellement, cette nudité des ogives au milieu de voûtains vivement colorées crée une rupture visuelle assez gênante.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, des badigeons ont été appliqués à l’intérieur des édifices alsaciens. À partir de 1850, cette habitude a cédé la place à celle du grattage, permettant de dégager les pierres engluées parfois sous de très nombreuses couches étendues au fil des siècles et, dans certains cas, de remettre au jour des peintures médiévales. Ces interventions se sont succédé de façon très régulière de la cathédrale de Strasbourg en 1848 à l’église de Weiterswiller en 1906[20]. Les travaux de Wihr-en-Plaine ont donc été menés assez tardivement par rapport à l’ensemble de la région. La volonté d’entreprendre un débadigeonnage apparaît souvent dans les archives, mais malheureusement, il est plus fréquemment question du financement des travaux que de la méthode à employer. Ces dégagements ont parfois été confiés à de simples maçons, et on ne peut douter que de nombreuses peintures et polychromies aient disparu lors de grattages peu précautionneux. Lorsque des vestiges de couleurs se devinaient sous le lait de chaux, la tentation d’agir avec hâte pouvait être grande pour des personnes inexpérimentées. Ainsi, à Weiterswiller, différentes scènes ont été dégagées par le pasteur lui-même en mouillant les murs avec une pompe à sulfater les vignes[21]. En revanche, à Saint-Georges de Sélestat, en 1859, l’architecte préconisait l’usage de grattoirs et de racloirs en bois employés sur des surfaces humectées d’eau ordinaire, et il avait demandé que les éventuelles traces de peintures soient scrupuleusement conservées[22]. Pour la cathédrale de Strasbourg, l’architecte Gustave Klotz évoquait l’emploi de pinceaux en crin, de brosses en chiendent et, pour les cas les plus difficiles, de brosses et pinceaux en fil de fer. L’eau naturelle a presque toujours suffi, mais elle a pu également être remplacée par une légère dissolution de soudes d’Amérique[23].

Quelques photographies réalisées par Sailé en 1899 permettent de se pencher sur les travaux menés à Wihr-en-Plaine. Ces documents précieux, qui n’ont jamais été exploités, montrent que, dès la fin du XIXe siècle, des essais de restauration ont été faits. Sur ces clichés qui laissent voir les peintures en mauvais état de conservation, peu après leur dégagement, on peut noter que les bandes séparant les scènes avaient été grossièrement retouchées dans les parties basses. On discerne également que les deux scènes, situées de part et d’autre de l’arc triomphal, avaient subi de grossiers repeints[24] (fig. 7). Des subventions pour « rafraîchir les peintures » ont en effet été accordées entre 1897 et 1900[25].

Fig. 7. Fonds Denkmalarchiv, Sailé, 1899, DRAC Grand Est, Pôle des patrimoines.

 

Fig. 8. Martin Schongauer, Le symbole de saint Matthieu, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6951526h

En 1900, des relevés aquarellés des peintures ont été effectués par Carl Schilling de Fribourg-en-Brisgau (fig. 9 à 15)[26]. Sept de ces dessins sont désormais conservés aux Archives départementales du Haut-Rhin. D’après l’inventaire du fonds graphique des Monuments historiques publié par Felix Wolff en 1909, on peut déplorer la disparition de quatre autres relevés (désignés par les numéros 2945, 2946, 2947 et 2954). Sur les relevés dont nous disposons, ne figure que le mur oriental, et dans la voûte, les relevés illustrant le lion de saint Marc, l’aigle de saint Jean et saint Augustin font défaut. Les documents qui subsistent sont néanmoins d’un très grand intérêt puisqu’ils montrent les peintures encore lacunaires[27]. On peut voir notamment que certains des remplages n’étaient que partiellement conservés, mais leurs formes ont incontestablement été respectées par la restauration. Les deux aquarelles montrant les scènes du mur oriental, sainte Marguerite devant l’idole et sa flagellation, sont particulièrement surprenantes. En effet, sous les inscriptions, Schilling a représenté une sorte de faux appareil noir avec de triples joints blancs (fig. 9). Cet élément semblait assez bien préservé sur la partie gauche du mur et presque totalement effacé à droite (fig. 10). Aucun faux appareil alsacien ne peut être comparé à ces assises feintes, ni dans leur tracé ni dans leurs couleurs. Les peintures datant du XVIe siècle, on pourrait y déceler une allusion à un bossage, mais on peut également penser à une simple tenture ornée d’un quadrillage. Malheureusement, aucun vestige ne subsiste dans l’édifice et la partie basse des murs n’a pas été décrite en 1890 par Herrenschneider (1823-1899)[28]. Ces relevés permettent toutefois d’avoir une idée assez précise de l’ornementation du soubassement.

Fig. 9. Carl Schilling, Relevé aquarellé de la partie gauche du mur oriental, sainte Marguerite devant l’idole (2952), 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_001)

 

Fig. 10. Carl Schilling, Relevé aquarellé de la partie droite du mur oriental, la flagellation de sainte Marguerite (2953), 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_002).

En 1909, Wolff notait que les peintures étaient toujours en très mauvais état ; de plus, le mur oriental avait encore été lourdement endommagé par un violent coup de foudre en 1903[29]. Une restauration plus complète a finalement été effectuée par Henri Ebel (1849-1931) en 1912[30], ainsi que le rappelle une inscription sur le mur sud du chœur : RESTAVR. HEINRICH EBEL IN FEGERSHEIM ANNO DOM : 1912 (fig. 2). Malheureusement, aucun document lié à cette intervention n’a pu être retrouvé dans les archives, tant en Alsace qu’à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Quelques clichés datés de 1933 ne permettent pas de tirer de conclusions en raison de leur médiocre qualité[31]. Cette restauration a été jugée très sévèrement dans les années 1930. L’architecte Paul Gélis (1885-1975) regrettait que la rénovation ait été poussée trop loin, et qu’elle ait fait perdre à ce décor une partie de son intérêt. En l’absence de subvention pour y remédier, il pensait même qu’il pourrait être utile « d’examiner si le déclassement de ces peintures ne devait pas être envisagé »[32]. D’autres édifices ont essuyé de semblables menaces à la même époque, comme Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg : en 1925 on accusait les travaux de Carl Schäfer (1844-1908) autour de 1900 d’avoir fait perdre son caractère ancien à l’ensemble[33].

Les peintures de Wihr-en-Plaine ont été restaurées pour la dernière fois en 1979. Le devis du 27 juin 1978 précise qu’elles étaient empoussiérées et accidentées. La couche picturale était pulvérulente et les pigments altérés. Toute la surface présentait de minuscules pertes de matière criblant la composition de petits points blancs et rendant la lecture de l’œuvre difficile[34]. Les travaux ont consisté en un dépoussiérage, un refixage de sécurité, une consolidation des enduits soufflés et une harmonisation de l’ensemble[35]. On peut déplorer qu’avant les dernières années, la couverture photographique des chantiers de restauration ait été largement insuffisante, voire inexistante. Ces peintures mériteraient aujourd’hui d’être mieux connues, tant pour les scènes de la légende de saine Marguerite que pour la polychromie qui peut être comparée avec de nombreux exemples alsaciens. La peinture ornementale, qui modifie sensiblement la perception de l’architecture, n’est pas toujours assez prise en compte. Ces dernières années ont accordé une place grandissante à l’étude de la polychromie architecturale, à travers des édifices emblématiques comme la cathédrale de Chartres. Toutefois, les édifices modestes, dans lesquels la muralité est souvent plus importante, avec une modénature plus fruste, peuvent également contribuer à cette quête de la couleur dans l’architecture médiévale. Ils offrent à la polychromie un terrain propice pour présenter à l’œil une séduisante allusion à une construction plus précieuse et plus complexe.

Fig. 11. Carl Schilling, Relevé aquarellé d’un voûtain, le taureau de saint Luc, 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_003).

 

Fig. 12. Carl Schilling, Relevé aquarellé d’un voûtain, saint Grégoire, 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_004).

 

Fig. 13. Carl Schilling, Relevé aquarellé d’un voûtain, saint Ambroise, 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_005).

 

Fig. 14. Carl Schilling, Relevé aquarellé d’un voûtain, l’ange de saint Mathieu, 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_006).

Fig. 15. Carl Schilling, Relevé aquarellé d’un voûtain, saint Jérôme, 1900 (Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_007).

[1] Une première version de cet article a été publiée en 2004 : Anne VUILLEMARD, « Les peintures de l’église Saint-Michel de Wihr-en-Plaine, de leur redécouverte à leur restauration », Annuaire de la société d’histoire de la Hardt et du Ried, 17, 2004, p. 43-50. Voir également la notice de la base Mérimée : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA68004932, ainsi que le dossier de l’Inventaire : http://www2.culture.gouv.fr/documentation/memoire/HTML/IVR42/im68008342/pages/im68008342_001.htm.

[2] Paul STINZI, « Des fresques peu connues à l’église de Wihr-en-Plaine », Magazine Ringier Alsace et Moselle, 31-12-1960.

[3] Dominique TOURSEL-HARSTER, Jean-Pierre BECK, Guy BRONNER, Dictionnaire des Monuments historiques d’Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1995, p. 174-175.

[4] Théodore SCHOELL, « Le passé d’un village d’Alsace. Essai d’histoire locale », Revue d’Alsace, 9, 1894, p. 239-269, à la p. 254.

[5] Charenton, Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP) : 81/68/92, Horbourg-Wihr, Église de Wihr-en-Plaine. Correspondance, travaux, 1932-1977.

[6] DRAC Grand Est, CRMH : dossier Antiquités et Objets d’Art, Horbourg-Wihr, Église mixte de Wihr-en-Plaine, Peintures murales, 1977-1979.

[7] De nombreuses églises alsaciennes ont vu leurs voûtes ornées des symboles des évangélistes à la fin du Moyen Âge. On peut notamment citer les églises protestantes de Baldenheim et Fouday, ou encore la Burnkirch d’Illfurth. Comme à Wihr-en-Plaine, dans la chapelle Saint-Michel de Kaysersberg, ils sont accompagnés des Pères de l’Église.

[8] Felix WOLFF, Einrichtungen und Tätigkeit der staatlichen Denkmalpflege im Elsaß in den Jahren 1899-1909, Strasbourg, Ludolf Beust,1909.

[9] Ces peintures ont été décrites après leur découverte au XIXsiècle : Emile Alphonse HERRENSCHNEIDER, Versuch einer Ortsgeschichte von Weier auf’m Land, Colmar, Barth, 1890. Voir également la notice sur la base Palissy : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/IM68008342.

[10] Charles BECK, L’église Saint-Michel de Wihr-en-Plaine, Reber, 2020 et voir le site de l’association d’archéologie et d’histoire de Horbourg-Wihr https://archihw.org/eglise-st-michel.

[11] Saint Matthieu https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6951526h ; Saint Jean https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6951529r ; Saint Luc https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6951528b ; Saint Marc https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6951527x.

[12] Pantxika BEGUERIE, « L’église protestante de Baldenheim. De l’influence de l’art de Martin Schongauer sur les peintures murales du chœur », Annuaire de la Société d’histoire de la Hardt et du Ried, 8, 1995, p. 25-34.

[13] Joachim Büchner a fait d’intéressantes remarques sur la modification de l’espace par la peinture : Joachim BÜCHNER, « Über die dekorative Ausmalung spätgotischer Kirchenräume in Altbayern », Mouseion, Studien aus Kunst und Geschichte für Otto H. Forster, Cologne, 1961, p. 184-195 et « Ast-, Laub- und Masswerkgewölbe der endenden Spätgotik », dans H. SEDLMAYR, W. MESSERER (dir.), Festschrift Karl Oettinger, Erlangen, Universitätsbund Erlangen-Nürnberg 1967, p. 265-301.

[14] Roland MÖLLER, « Illusionistische und grünmonochrome Wandmalerei als Dekoration in Sakral- und Profanräumen der Spätgotik », dans U. REUPERT, T. TRAJKOVITS, W. WINFRIED (dir.), Denkmalkunde und Denkmalpflege, Wissen und Wirken, Festschrift für Heinrich Magirius zum 60. Geburtstag am 1. Februar 1994, Dresde, Lipp, 1995, p. 223-239.

[15] Peter FINDEISEN, « Zur Ausmalung der Schlosskapelle in Ziesar und der Ernstkapelle im Magdeburger Dom », Wissenschaftliche Zeitschrift der Martin-Luther-Universität, Halle-Wittenberg. Gesellschafts- und sprachwissenschaftliche Reihe, 41, 1992, p. 4-47.

[16] Voir notre article dans ces actes : Anne VUILLEMARD-JENN, « Les polychromies de l’église protestante de Baldenheim et la restauration des décors peints ».

[17] Franz Xaver KRAUS, Kunst und Alterthum im Ober-Elsass. Beschreibende Statistik im Auftrage des kaiserlichen Ministeriums für Elsass-Lothringen, Strasbourg, C. F. Schmidts Universitäts-Buchhandlung, Friedrich Bull, 1884, p. 691.

[18] HERRENSCHNEIDER, op. cit., 1890, p. 54.

[19] Udap du Haut-Rhin : grands formats, n° 3455, F. H. Sailé, Le mur ouest et la voûte du chœur, 1899.

[20] Pour l’étude des badigeonnages, des grattages et de la restauration des polychromies aux XIXe et XXe siècles, voir notre thèse : Anne VUILLEMARD, La polychromie de l’architecture gothique à travers l’exemple de l’Alsace. Structure et couleur : du faux appareil médiéval aux reconstitutions du XXIe siècle, Thèse de doctorat sous la dir. de R. RECHT, Université Marc-Bloch, Strasbourg, 2003.

[21] Hermann GERST, « Weiterswiller, les peintures murales », Société d’Histoire et d’Archéologie de Saverne et Environs, 47-48, 1964, p. 8-12.

[22] Bibliothèque humaniste de Sélestat : Carton XX, Ringeisen, Devis et détail estimatif, 1859.

[23] Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg : OND XIXe 150, Lettre de Gustave Klotz au Maire de Strasbourg, 07-12-1849.

[24] Udap du Haut-Rhin : grands formats, clichés de F. H. Sailé, n° 3519, La nef, 1890 ; n° 3453, Vue d’ensemble de l’extérieur, 1899 ; n° 3454, La voûte du chœur, 1899 ; n° 3455, Le mur ouest et la voûte du chœur, 1899 ; n° 3456 et n° 3458, Le mur est et la voûte du chœur, 1899 ; n° 3457 et n° 3459, Le chœur, 1899 ; n° 3460, Le mur ouest du chœur, 1899 ; n° 3461 et n° 3462, Le mur sud du chœur, 1899 ; n° 3463, n° 3464, n° 3465, L’intérieur de l’édifice, 1899.

[25] Service régional de l’Inventaire, Strasbourg : dossier de pré-inventaire, Traduction de l’allemand, Extrait du Bulletin central et départemental d’Alsace-Lorraine, Strasbourg, 17-12-1898, non paginé. L’original de ce document n’a pas pu être retrouvé dans les archives.

[26] Ces dessins ont été versés aux Archives départementales du Haut-Rhin. Ils sont cités dans Felix WOLFF, Verzeichnis der Zeichnungen und Abbildungen der geschichtlichen Denkmäler in Elsass-Lothringen, Strasbourg, 1905. Schilling a réalisé des relevés dans d’autres édifices, comme pour les peintures de la voûte de l’avant-chœur de l’église d’Altenstadt. Il est également à l’origine du nouveau décor figuré de l’abside de ce même monument, et, de ceux de l’église de Saint-Hippolyte et du temple de Balbronn.

[27] Archives d’Alsace, site de Colmar : FRAD068_RAR145A001_001 à FRAD068_RAR145A001_007. Nous remercions Jean-Luc Eichenlaub de nous avoir transmis ces relevés.

[28] HERRENSCHNEIDER, op. cit., 1890.

[29] WOLFF, op. cit., 1909, p. 72.

[30] Henri ou Heinrich Ebel a travaillé dans divers édifices alsaciens. Il a notamment relevé des fragments d’un décor médiéval sur les voûtes de Saints-Pierre-et-Paul de Neuwiller-lès-Saverne et il a participé, avec l’architecte Knauth à la réalisation du décor néogothique. Voir notre article dans ces actes Anne VUILLEMARD-JENN, « La polychromie néogothique en Alsace : un simple pastiche du décor médiéval ? ».

[31] Udap du Haut-Rhin : grands formats, Deux vues de l’intérieur de l’édifice après restauration, 1933.

[32] Service régional de l’Inventaire : Dossier de pré-inventaire, Lettre de l’architecte en chef Gélis au Bureau des Monuments historiques, 23-08-1930 (ou 1932 ?).

[33] Charenton, Médiathèque du patrimoine et de la photographie : 81/67/248, P. Boeswillwald, Rapport à la Commission, 29-05-1925.

[34] DRAC Grand-Est, CRMH : dossier Antiquités et Objets d’Art, Arcoa, Devis du 27-07-1978.

[35] Ibid., Arcoa, Mémoire du 29-06-1979.

 

Pour citer cet article : 
Anne VUILLEMARD-JENN, « Les peintures de l’église Saint-Michel de Wihr-en-Plaine (Horbourg-Wihr), de leur redécouverte à leur restauration », dans Ilona HANS-COLLAS, Anne VUILLEMARD-JENN, Dörthe JAKOBS, Christine LEDUC-GUEYE (dir.), La peinture murale en Alsace au cœur du Rhin supérieur du Moyen Âge à nos jours, Actes du colloque de Guebwiller (2-5 octobre 2019), Caen, Groupe de Recherches sur la Peinture Murale (GRPM), 2023, mis en ligne en février 2023. URL : https://grpm.asso.fr/activites/publications/colloque-guebwiller/anne_vuillemard_…n_peintures_wihr/.