Rollins Guild
Archéologue
Résumé : L’ancienne abbatiale d’Ottmarsheim, située en bordure du Rhin, fut construite dans les années 1040-1055. Les murs intérieurs de l’église conservent encore quelques fragments de décor peint, probablement d’époque romane. D’une part, dans la chapelle supérieure du chevet, sur la partie haute de la fenêtre axiale demeurent des joints peints en rouge sur un enduit crème et, au mur nord, sur un demi-mètre carré environ, des joints semblables peints en blanc cassé ; au sud, à la naissance de la voûte, une petite surface d’enduit rose se distingue à l’endroit où s’interrompent les scènes de la vie de saint Pierre peintes postérieurement. D’autre part, dans la travée orientale de la tribune, les arcs diaphragmes nord et sud portent encore des joints peints en rouge, tout comme le pilier sud-est sur sa partie inférieure. Sur le berceau, au nord, une surface d’enduit blanc cassé passe sous le décor figuratif gothique. Un laboratoire du CNRS a analysé ces peintures romanes. Il en ressort que les joints sont peints sur un support de mortier de chaux presque pure, ce qui serait « un indice d’authenticité ». Le mortier rosé étant de même composition, son ancienneté est identique. L’époque précise de la réalisation de ces décors demeure toutefois inconnue, il se pourrait qu’elle puisse être rapportée aux origines du monument.
Die ehemalige Abteikirche von Ottmarsheim, die Malereien des 11. Jahrhunderts
Zusammenfassung: Die ehemalige Abteikirche von Ottmarsheim liegt am Ufer des Rheins. Sie wurde in den Jahren 1040-1055 erbaut. An den Wänden im Innern der Kirche sind noch einige Malereifragmente, wahrscheinlich aus romanischer Zeit, erhalten. Einerseits sind gemalte rote Fugen auf crème-farbigem Putz in der Oberkapelle des Chorhauptes im oberen Teil des Ostfensters erhalten und an der Nordwand, auf einer etwa einen halben Quadratmeter großen Fläche, ähnliche Fugen in gebrochenem Weiß. Auf südlicher Seite, am Ansatz des Gewölbes, sieht man eine kleine Fläche von rosafarbigem Putz an jener Stelle, wo die später ausgeführten Szenen des Lebens des heiligen Petrus unterbrochen sind. Andererseits, im Ostjoch der Empore, tragen die nördlichen und südlichen Blendarkaden noch gemalte rote Fugen, wie auch der Süd-Ost-Pfeiler in seinem unteren Teil. Im Tonnengewölbe, nördlich, liegt eine gebrochen weiße Fläche unter der figurativen gotischen Bemalung. Ein Labor des CNRS (Centre national de la recherche scientifique) analysierte diese romanischen Wandmalereien. Daraus lässt sich schließen, dass die Fugen auf einem fast reinen Kalkmörtel aufgemalt sind, was als Zeichen ihrer Ursprünglichkeit anzusehen wäre. Der rosafarbene Mörtel, von gleicher Zusammensetzung ist der gleichen Altersstufe zuzurechnen. Die genaue Entstehungszeit dieser Fassungen bleibt jedoch ungewiss, könnte sich aber auf die Ursprünge des Baus beziehen.
L’ancienne abbatiale d’Ottmarsheim, située au bord du Rhin, fut construite entre 1040 et 1055 environ par Rudolph, seigneur du lieu (de la branche sundgauvienne des proto-Habsbourg en Alsace). Bien que discontinus, ses vestiges de décor peint représentent une documentation exceptionnelle en Alsace sur l’aspect intérieur des édifices du XIe siècle. L’examen stratigraphique des couches d’enduits a montré que ces éléments appartenaient probablement à l’édifice primitif. Ces fragments de décor ont fait objet de relevés graphiques[1].
Le vestige le plus important de ces techniques primitives se trouve dans la travée occidentale de la tribune, sur le pilier sud-est. Les joints de mortier du pilier et de l’écoinçon sont beurrés et lissés ; sur l’arc-diaphragme sud, les joints sont rubanés ; au-dessus de l’écoinçon, les joints, beurrés et lissés, sont soulignés horizontalement par un trait fait à la truelle (fig. 1 et 2). Les montants du pilier et les écoinçons ont conservé un décor de joints peints en rouge sur une hauteur de 3,50 m environ, tandis que l’arc-diaphragme est orné de joints peints en blanc. Quant à l’intrados de l’arc-diaphragme occidental, il porte à son sommet une mince plaque de mortier recouverte de deux fines couches de badigeon, probablement blanchâtre.
La travée orientale de la tribune abrite un ensemble comparable. À l’est, le pilastre sud portant l’arc d’ouverture de la chapelle garde ses joints de mortier beurrés et lissés et, à sa base, sur une hauteur de 1,20 m, peints en rouge. En effet, il s’agit probablement d’un traitement qu’avaient pu réaliser des maçons. Sur les arcs-diaphragmes nord et sud, les joints sont rubanés, soulignés d’un trait à la truelle et repassés aussi en rouge. À l’intrados de la voûte, vers le nord-ouest, est conservée une plaque originelle d’enduit blanc sous-jacente aux enduits de l’époque gothique.
Dans la chapelle orientale de l’étage, les parements nord et sud gardent toujours des joints beurrés, sur des élévations respectivement de 2,06 et de 2,30 m de haut. Au mur nord, une petite surface de parement, à environ 1 m du sol, conserve des joints peints de couleur blanc-cassé (sur 5 assises et sur une longueur d’un mètre) (fig. 3 et 4). Dans la fenêtre axiale, quelques assises de pierre avec des joints lissés et peints en rouge sont conservées à la base du montant sud. Sur l’intrados de son arc se trouve un motif peint en noir sur fond rose, une guirlande ou un rinceau, motif antérieur au décor gothique tardif. De même, sur la voûte en plein cintre se trouve une petite plaque d’enduit peint rose découverte au sud-est : il s’agit de l’enduit conservé sous les peintures gothiques.
Dans les travées carrées ouest et sud-ouest, le pilier mitoyen, en « Y », gardait encore deux ensembles de décors de maçonnerie peinte ; l’enregistrement de cet ensemble a été fait avant le nettoyage de la suie due à l’incendie, opération qui a malheureusement détruit le décor sur le pilier. Dans la tour occidentale, il y a encore des fragments d’un épais joint rubané qui soulignait l’extrados du grand arc d’entrée vers la tribune.
Il convient désormais d’imaginer autrement l’intérieur de l’église abbatiale au XIe siècle : au premier niveau se trouvait une maçonnerie de moellons rouges et blancs, avec parfois des joints peints (niveau du commun des laïcs) ; au deuxième niveau, les matériaux étaient de couleurs mêlées, tandis qu’au troisième niveau, les murs et les arcs étaient faits en pierre blanche, avec une colonnade bicolore, rouge et blanche (niveau seigneurial) ; au quatrième niveau, dont les pierres étaient de couleur blanche, la coupole fut, tardivement semble-t-il, recouverte d’un enduit peint en bleu (niveau céleste).
L’héritage romain et carolingien
Un inventaire sommaire, fait avec des chercheurs en archéologie, permet de savoir que depuis l’époque antique en Gaule, le traitement des joints épais constituait la finition de surfaces murales. À partir de la fin du Ier siècle, apparaissent dans le Midi, des joints incisés à la truelle[2].
Dans la villa gallo-romaine de Reinheim (Sarre), datant du Haut-Empire, une cave présentait des murs intérieurs jointoyés, tirés au fer et soulignés de peinture rouge.[3] Sur la façade ouest du « Palais wisigoth » de Toulouse, attribuée au Ve siècle, les joints étaient lissés et incisés.[4]
À l’époque carolingienne, l’abside de la basilique de Saint-Denis, de la fin du VIIIe siècle, conserve au parement extérieur des joints peints en rouge[5].
Dans l’église de Saint-Philibert de Tournus (Bourgogne), le mur ouest de la nef, derrière la tribune, conserve des joints du milieu du XIe siècle qui étaient lissés et incisés sur un fond d’ocre jaune[6].
L’abbatiale d’Andlau (Haut-Rhin), présente dans l’absidiole sud, vers 1050, des joints incisés[7].
Dans l’abbatiale d’Ottmarsheim (Haut-Rhin), les joints peints des parements apparaissent comme étant un premier décor peu coûteux. Le problème est de savoir, s’il ne s’agissait pas d’un traitement provisoire en attendant de réunir les moyens de financer un atelier de peintres en vue d’un décor mural.
[1] Les rélevés graphiques ont été réalisés par Thierry Logel et Christophe Croutsch et les relevés photographiques par Jean Erfurt, l’Atelier Genovesio et Rollins Guild. Concernant cet édifice, voir également Rollins GUILD (dir.), L’ancienne église abbatiale d’Ottmarsheim. Études archéologiques et historiques, Strasbourg, Mémoires d’Archéologie du Grand Est, 5, 2020.
[2] Communication orale de Lucien Rivet.
[3] Florian SĂRĂŢEANU-MÜLLER, Die gallo-römische Villenanlage von Reinheim, Saarpfalz, Homburg, 2000. Florian SĂRĂŢEANU-MÜLLER, « Vicus Bliesbrück, Gebäude 0501. Zur Bautätigkeit in der ersten Hälfte des 4. Jahrhunderts n. Chr. Ein Vorbericht », dans R. ECHT (éd.), Beiträge zur Eisenzeit und zur gallo-römischen Zeit im Saar-Mosel-Raum. Saarbrücker Studien und Materialien zur Altertumskunde, Bonn, 9, 2003, p. 231, fig. 1-2. Florian SĂRĂŢEANU-MÜLLER, « La grande villa de Rheinheim », dans Bliesbruck-Rheinheim, Dossier d’archéologie, hors-série n° 24, juin, p. 72-79.
[4] Jean GUYON, « Toulouse, la première capitale du royaume Wisigoth », dans G. RIPOLL et J.-M. GURT (éd.), Sedes regiae (ann. 400-800), Barcelona, Reial Acadèmia de Bones Lletres, Series Maior, 6, 2000, p. 219-240.
[5] Communication orale de Michaël Wyss, 2016 et Michaël Wyss, en collaboration avec J.-P. GELY, R. GUILD, W. JACOBSEN, A. KHARCHACH, « Les cryptes de la basilique de Saint-Denis », dans Cryptes et culte des saints dans le domaine capétien au Moyen Âge, 2005.
[6] Communication orale de Christian Sapin, 1988 et Christian SAPIN, « L’ouverture de la chapelle Saint-Michel de Tournus », Bulletin monumental, 146, III, 1988, p. 235-237.
[7] Communication orale de Jean-Philippe Meyer, 2016.